Association médicale canadienne

Il y a trente ans, le Dr Jean-Joseph Condé était le seul médecin noir de Val-d’Or. Aujourd’hui, dit-il, l’avenir des soins dans les régions rurales du Québec pourrait dépendre de médecins comme lui. 

Dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, nous avons demandé au Dr Condé, nouveau membre du Conseil d’administration de l’AMC, de nous parler de son parcours en tant que médecin noir et de nous expliquer comment la diversité en médecine peut contribuer à sauver un système de santé en crise.

Dr. Conde with medical files
Crédit : Vincent Éthier

Février est le Mois de l’histoire des Noirs. Comment décririez-vous la diversité au sein de la profession médicale d’ici?

Je pense que la diversité s’améliore tant dans le corps médical que dans les facultés de médecine. Il y a 40 ans, j’étais le seul étudiant en médecine noir sur 360 personnes. Heureusement, les choses sont en train de changer. En 2020, la faculté de médecine de l’Université de Montréal comptait entre 1,5 et 3 % de personnes noires parmi sa communauté étudiante, et à celle de l’Université de Toronto c’était 26 étudiantes et étudiants sur 259. Plusieurs facultés ont maintenant des plans pour promouvoir l’accès des personnes noires à des programmes de médecine.

Y avait-il des médecins noirs qui vous ont inspiré au moment de choisir votre carrière?

Oui. Ils étaient peu nombreux, mais il y en avait quelques-uns. Mes parents venaient d’une petite ville d’Haïti, et, pour moi, le moment marquant a été la rencontre de l’un de leurs amis, qui avait immigré au Québec dans les années 1960 et qui était médecin à l’Hôpital Sainte-Justine. Il a été une inspiration et un modèle pour le jeune étudiant noir que j’étais.

Pourquoi avez-vous décidé de vous installer et d'exercer en milieu rural, plus précisément à Val-d’Or?

J’ai commencé à travailler à Val-D’Or il y a plus de 30 ans. J’ai grandi à Montréal et ce sont les stages d’immersion en régions éloignées qui m’ont amené en Abitibi. Nous étions quatre jeunes finissants en médecine qui avons décidé de commencer notre pratique en région. On avait le goût de relever le défi d’une pratique polyvalente (urgences, hospitalisations, obstétrique, soins intensifs, etc.). Il y avait aussi, bien sûr, l’attrait des grands espaces, de la nature, des lacs… En plus, j’avais rencontré des gens chaleureux et sympathiques à Val-D’Or et c’est ce qui m’a encouragé à m’y installer.

À l’époque, vous étiez le seul médecin noir de la ville. Comment était-ce?

C’est sûr qu’il y a eu quelques incidents racistes isolés, que toutes les personnes noires ont vécu ou vont vivre dans leur vie… Mais dans l’ensemble, la communauté, les patientes et patients ainsi que mes pairs ont été très accueillants. Cependant, en tant que seul médecin noir dans une petite communauté, j'avais l'impression de devoir être doublement prudent et consciencieux, que je n'avais pas droit à l’erreur parce que j'étais facilement reconnaissable dans la vie de tous les jours. C’est clair qu’un médecin noir vit une pression supplémentaire en travaillant dans une petite communauté.

Comment étiez-vous traité par les autres médecins?

Les médecins m'ont rapidement fait confiance. Après deux ans seulement à Val-D’Or, j’ai été élu à la présidence du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) de l’hôpital de Val-D’Or ce qui était très bien autant pour le jeune médecin que j’étais que pour un médecin noir dans un milieu blanc. Après trois ans, mes pairs m’ont élu à titre de représentant régional au conseil de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). Ils m’ont aussi témoigné leur confiance en m’élisant au Conseil de l’Association canadienne de protection médicale (ACPM), dont je suis ultimement devenu président. Ce sont des marques de confiance non négligeables et très appréciées d’un milieu 100 % blanc envers un jeune médecin noir.

Quels changements avez-vous pu observer au cours des trente dernières années en milieu rural?

Quand je suis arrivé, un médecin noir était un acteur important du système de santé, comme n’importe quel autre médecin d’ailleurs. Aujourd’hui, je constate que les médecins noirs (ou issus de l’immigration en général) ne sont pas seulement des acteurs importants du système, ils en sont souvent les piliers, surtout en régions éloignées, comme à Senneterre, au nord-est de Val-d’Or.

Pourriez-vous nous en dire plus à propos de Senneterre?

C’est une petite ville de 6 000 habitants, dont le centre de santé était autrefois dirigé par quatre médecins originaires du Québec. Ces médecins ont pris leur retraite et aujourd’hui, ce sont trois médecins étrangers (originaires des Antilles et d’Afrique) qui assurent les services de santé. La seule pharmacie de la ville est aussi tenue par un pharmacien d’origine africaine. Ça montre bien que les médecins et prestataires de soins de santé noirs sont maintenant des éléments essentiels du système de santé. Sans eux, ces 6 000 personnes n’auraient pas accès à des soins de proximité.

Pourquoi est-ce important de voir autant de médecins noirs dans une ville?

Partout, la population vieillit et les besoins en soins de santé augmentent. Ajoutons à cela les départs à la retraite et la diminution de l’attrait de la médecine familiale pour les jeunes finissantes et finissants et nous obtenons une pénurie de médecins de famille. Selon moi, la diversité a un rôle important à jouer pour résoudre la crise dans le système des soins de santé. La présence de médecins noirs améliore non seulement la qualité des soins aux personnes noires, mais améliore aussi l’accès aux soins à la population en général.

Que pensez-vous de la question des titulaires d’un diplôme de médecine de l’étranger?

Ils sont aussi une composante essentielle du système de santé. On le voit en Ontario où 26 % des médecins sont diplômés de l’étranger, et en Saskatchewan où c’est environ 50 %. Au Québec, c’est seulement 9 %, mais c’est un retard qu’on est en train de rattraper.

Comment pouvons-nous soutenir la diversité de façon continue dans la profession médicale?

Il faut que les universités et les 17 facultés de médecine au Canada adoptent des plans d’action pour promouvoir l’accès des personnes issues de la diversité au domaine de la santé. C’est seulement de cette façon que nous obtiendrons une profession médicale vraiment représentative de la société.

En tant que nouveau représentant du Québec au sein du Conseil d’administration (CA) de l’AMC, que souhaitez-vous accomplir?

L’AMC a un plan stratégique qui est très ambitieux et qui veut répondre aux besoins de la population et des prestataires de soins de santé. Par ma présence au CA, j’espère enrichir les débats par la diversité d’opinion que j’apporte.


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