Association médicale canadienne

Graphic image of Dr. Fiona Mattatall

Les femmes médecins sont très au fait des inégalités que vit la population féminine dans le domaine des soins de santé, tant les patientes que les professionnelles de la santé. Pour souligner à la fois la Journée internationale des femmes et la Journée des femmes médecins du Canada, l’Association médicale canadienne (AMC) a demandé à la Dre Fiona Mattatall, obstétricienne-gynécologue à Calgary, de nous parler de ces inégalités et de son approche à l’égard des soins d’affirmation du genre. Le texte de l’entrevue a été modifié à des fins de concision.

Quels sont les défis auxquels doivent faire face les femmes médecins et les étudiantes en médecine de nos jours?

Le sexisme existe depuis bien plus longtemps que la médecine elle-même. Malgré les progrès réalisés (les femmes sont maintenant plus nombreuses que les hommes dans les facultés de médecine), il existe toujours des disparités aux échelons supérieurs de l’administration, où sont prises les décisions quant à la répartition des fonds destinés aux soins de santé.

C’est notamment le cas en chirurgie. Les budgets alloués aux salles d’opération sont insuffisants, et les inégalités sont encore bien présentes sur le plan de la santé sexuelle et reproductive, et pas seulement chez les femmes. Nous luttons constamment pour l’accès aux soins pour nos patientes et nos patients. En outre, l’équipement chirurgical est conçu pour les chirurgiens hommes, ce qui n’est pas toujours facile pour les chirurgiennes.

Je me pose souvent cette question : s’il manque de soutien en chirurgie gynécologique, est-ce parce que ce sont principalement des femmes qui pratiquent les interventions, ou parce que nous pratiquons la plupart de ces interventions sur des femmes? Il reste encore beaucoup à faire, d’autant plus dans le domaine de la santé des personnes transgenres, où nous accusons un retard d’une quarantaine d’années.

Journée des femmes médecins du Canada : le poids de l’épuisement professionnel

Pourquoi les problèmes de santé des femmes sont-ils relégués au second plan?

Quand on mesure l’efficacité des systèmes de santé, la santé des femmes se résume presque toujours au suivi de grossesse. Cette vision misogyne de la valeur des femmes ne tient qu’à leur capacité de reproduction. Lorsqu’on évalue comment se porte le système de santé, jamais les menstruations, la ménopause, le prolapsus ou la douleur pelvienne ne font partie des critères de référence.

Depuis toujours, les femmes sont négligées dans la recherche clinique. Prenez les données sur la santé cardiaque et les crises cardiaques, par exemple : la plupart des travaux de recherche portent essentiellement sur les symptômes et les traitements chez les hommes. Il y a peu de données sur les femmes. Physiologiquement parlant, les femmes ne sont pas une version réduite des hommes : nous sommes physiologiquement différentes. On ne peut pas simplement extrapoler les données. Le manque de compréhension d’un aspect physiologique aussi important que le travail pendant l’accouchement est un autre exemple des lacunes que l’on rencontre dans le monde des sciences fondamentales.

Quels sont les obstacles que doivent surmonter les femmes lorsqu’elles tentent d’accéder aux soins?

Elles ne sont pas prises au sérieux.

On dit aux femmes que tout le monde a des douleurs menstruelles et que c’est normal. Je l’ai moi-même vécu lorsque j’étais jeune.

C’est un obstacle que nous pouvons éliminer en tant que travailleurs et travailleuses de la santé : il faut écouter les patientes et encourager nos collègues à les écouter.

Malheureusement, la société conditionne aussi les femmes à ressentir de la honte. Par exemple, on voit encore des publicités télévisées où l’on verse un liquide bleu sur une serviette hygiénique.

Il est extrêmement important de parler de notre santé personnelle.

Vous travaillez avec la communauté transgenre à Calgary. Quels conseils donneriez-vous à vos collègues médecins sur la prestation de soins d’affirmation du genre?

« Soyez curieux, ne jugez pas les autres » (pour citer la série télévisée Ted Lasso). Soyez à l’écoute des expériences de vie des patientes et patients et de leurs critiques constructives.

Par exemple, j’ai un formulaire de prise en charge que je modifie probablement tous les trois ou quatre mois. Je demande aux patientes et patients comment je pourrais l’améliorer, et elles et ils me disent comment reformuler les questions. En tant que femme cisgenre, je ne comprends pas toujours pourquoi une question ou une autre pourrait poser un problème, mais je peux très bien la modifier pour que la personne suivante ne bute pas dessus.

On peut aussi changer bien des choses simplement avec notre choix de mots. Assurez-vous d’utiliser le nom et les pronoms qu’utilise la patiente ou le patient pour se décrire, et pas nécessairement ce qui est inscrit sur sa carte d’assurance maladie.

Oubliez votre rôle de médecin pendant un instant et mettez-vous à la place de la personne devant vous. En étant à l’écoute et en prêtant attention à ses besoins, vous pouvez faciliter son parcours de soins de santé.

En tant qu’obstétricienne-gynécologue, que pensez-vous de la réduction de l’accès aux soins pour les femmes dans d’autres endroits du monde?

C’est terrifiant. J’ai lu La servante écarlate de Margaret Atwood lorsque j’étais au secondaire et c’est vraiment le seul mot qui me vient à l’esprit en tant que femme canadienne.

Je crains que cette histoire ne soit pas si loin de la réalité, contrairement à ce que nous pouvons penser ici au Canada. Nous nous laissons bercer par un faux sentiment de supériorité, mais la vérité, c’est que nous entendons le même discours de la bouche de personnalités politiques canadiennes, qu’il s’agisse des droits en matière de procréation, de contraception ou des droits des personnes LGBTQ+.

Je crois que la menace est imminente et que nous pourrions perdre ces droits qui ont été si durement acquis par les générations précédentes. Il est important de connaître notre histoire et nos droits, et de tout faire pour ne pas revenir en arrière.


Vous avez des questions ou des commentaires ?

Envoyez-nous un courriel.
Back to top