Association médicale canadienne

Depuis des années, les médecins, le personnel infirmier et les autres professionnels de la santé de partout au pays se disent extrêmement préoccupés par l’état des systèmes de santé. La pénurie de ressources humaines et matérielles de soins de santé, et le vieillissement de la population, le tout combiné à l’absence de changements ou de mises à niveau significatifs au sein des systèmes depuis des décennies ne pouvait que nous mener au point de rupture.

Beaucoup d’entre nous ont supposé que les exigences liées au vieillissement de la population canadienne finiraient par faire sombrer les systèmes dans l’abîme. Lorsque ces derniers ont été conçus au pays dans les années 1960, ils visaient à répondre aux besoins démographiques de cette époque. Les personnes atteintes de maladies chroniques étaient moins nombreuses et l’espérance de vie était plus courte. Les systèmes de santé ont été conçus pour répondre, d’abord et avant tout, aux besoins aigus ou urgents. Les personnes requérant des soins urgents étaient traitées, mais les autres étaient souvent laissées pour compte.

Puis est arrivée la COVID-19.

Aujourd’hui, partout au Canada, les systèmes de santé doivent continuellement et désespérément changer de cap pour répondre aux besoins urgents des patients atteints de la COVID-19. Les interventions chirurgicales, les actes médicaux et les autres soins non liés à la COVID-19 continuent d’être mis de côté. Des centaines, voire des milliers de travailleurs de la santé sont absents du travail parce qu’ils ont contracté la COVID-19, qu’ils doivent s’isoler ou tout simplement parce qu’ils souffrent d’épuisement professionnel à force de travailler sous pression en raison de la pandémie.

Selon un récent rapport commandé par l’Association médicale canadienne, entre août et décembre 2020, les retards dans les soins de santé ou l’impossibilité d’obtenir des services pourraient avoir contribué à plus de 4 000 décès excédentaires non liés aux infections de COVID-19. Les deux tiers de la population canadienne vivant avec une maladie chronique ont eu de la difficulté à obtenir des soins en 2020. Les examens de dépistage systématique du cancer ont été interrompus durant les vagues successives de la pandémie, et en janvier 2021, le nombre d’examens effectués en Ontario était toujours de 20 à 35 % inférieur au niveau prépandémique.

La situation est à peu près la même dans l’ensemble des provinces et territoires du pays. Selon un sondage récemment publié mené par le Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique auprès de 188 000 résidents de la province, un répondant sur trois avait trouvé plus difficile d’accéder aux soins de santé durant le printemps 2021 qu’au cours de la première année de la pandémie. Le sondage révèle également que 40 % des personnes touchées estiment que leur état de santé s’est beaucoup ou quelque peu détérioré en raison de cette situation. La semaine dernière, Doctors Manitoba estimait que l’arriéré total attribuable à la pandémie pour ce qui est des interventions chirurgicales et des tests diagnostiques était passé à 153 320 cas pour la période de novembre à décembre 2021.

On entend souvent dire qu’« advenant » la surcharge des systèmes de santé, des protocoles de triage seront mis en place pour déterminer qui pourra recevoir des soins ou non. À mon avis, quand on annule des milliers d’interventions chirurgicales et d’actes médicaux – comme c’est le cas partout au pays depuis le début de la pandémie –, il y a déjà un triage qui s’opère.

Encore une fois, nos hôpitaux se remplissent de patients atteints de la COVID-19. Bien qu’on parle beaucoup des personnes non vaccinées hospitalisées, en tant que médecins, notre devoir sera toujours de soigner les gens qui ont besoin de nous, peu importe leurs choix personnels. Nous continuerons de faire notre devoir. Toutefois, cet engagement ne réduit pas notre détresse à la vue des répercussions de ces choix sur les systèmes de santé et sur l’ensemble de la population canadienne. Tandis que les provinces et territoires continuent d’examiner des façons de sensibiliser, d’encourager et d’inciter les gens qui ne sont toujours pas vaccinés à le faire dès que possible, rappelons-nous qu’il ne s’agit pas d’un groupe homogène. Bon nombre des personnes non vaccinées font partie de groupes marginalisés ou sont tombées dans le piège de la désinformation massive qui se propage en ligne. Pour encourager la vaccination, il faut une approche multidimensionnelle.

Les gouvernements et les responsables des orientations politiques commencent à manquer de moyens pour nous sortir de cette pandémie. Nous pouvons augmenter les ressources de soins de santé pour répondre au besoin accru, ou adapter les comportements de la population pour aplatir la courbe et soulager la pression sur les systèmes de santé avec des confinements locaux, des mesures de santé publique restrictives et autres outils du genre. Étant donné que nous n’avons pas de ressources de soins de santé supplémentaires à déployer, il ne nous reste que cette dernière option. Si nous voulons nous en sortir, nous devrons utiliser les moyens dont nous disposons pour augmenter le taux de vaccination, y compris pour la troisième et possiblement la quatrième dose. Les données sur les vaccins sont claires : ils sont sécuritaires, et c’est le meilleur outil dont nous disposons pour nous protéger et protéger les systèmes de santé.

Toute la population canadienne compte sur des systèmes de santé fonctionnels. La pandémie a exposé, vague après vague, le résultat d’un manque d’investissement et d’innovation, mais surtout, la nécessité d’une discussion ouverte et honnête sur l’état des systèmes de santé. Nous savions que les fondations des systèmes de santé du pays étaient en train de se fissurer, et que le vieillissement de la population les poussait toujours plus près de l’effondrement. La COVID-19 a simplement frappé en premier.

Cette réalité n’a rien de nouveau pour quiconque travaille dans les soins de santé, ou pour les personnes qui se sont penchées sur la question au cours des dernières décennies. La « transformation des soins de santé » a été reportée d’un gouvernement à l’autre, tant à l’échelle provinciale que fédérale; des commissions et des groupes de réflexions ont créé des feuilles de route détaillées et ambitieuses conçues pour améliorer les systèmes de santé. Ces feuilles de route – que ce soit le rapport Kirby, le rapport Romanow ou tous les autres – dorment sur une tablette et ne sont citées qu’à l’occasion pour appuyer un argument. Pendant ce temps, Rome brûle.

Il n’y a pas de solution simple pour améliorer les systèmes de santé du Canada, très prisés et pourtant négligés depuis longtemps. Nous avons tous droit à des systèmes prêts à répondre à nos besoins actuels et futurs. Nous devrions accorder la plus haute priorité aux solutions mises en place pour y parvenir.

Dre Katharine Smart

Présidente, Association médicale canadienne

Cette lettre ouverte a initialement été publiée dans le Toronto Star


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