Association médicale canadienne

« Maman, est-ce que les garçons peuvent devenir médecins eux aussi? »

Mon petit patient posait cette question naïve alors que je soignais sa jambe cassée au service des urgences, entourée d’une équipe de femmes. Encore trop jeune pour subir l’influence des préjugés et des idées reçues de ce monde, il voyait un milieu médical composé exclusivement de femmes.
 
Voir des femmes en médecine n’a plus rien de nouveau ou d’inhabituel. Aujourd’hui, nous sommes plus nombreuses que les hommes dans les facultés de médecine et dans bon nombre de domaines d’exercice. Et même si peu d’entre nous occupent des postes de leadership en santé, cette réalité est aussi en train de changer. En fait, j’irais jusqu’à dire que l’avenir de la médecine semble être principalement féminin. Il est temps que notre culture médicale se mette au diapason.
 
Au fil des ans, plusieurs études ont démontré les forces des femmes médecins. Nous avons tendance à être de meilleures communicatrices et à mieux collaborer que nos homologues masculins, des qualités qui peuvent mener à de meilleurs résultats pour les patients. Dans une étude menée par la Faculté de médecine Temerty de l’Université de Toronto, récemment publiée dans la revue JAMA Surgery, des chercheurs ont examiné les résultats pour plus de 1,3 million de patients. Selon l’étude, les patientes couraient 32 % moins de risques de succomber et 16 % moins de risques de subir des complications si elles étaient traitées par une chirurgienne plutôt que par un chirurgien. 

Pourtant, la culture médicale demeure trop peu inclusive. Dans leur étude de 2020, la Dre Michelle Cohen et la Dre Tara Kiran ont montré qu’il existe un écart salarial entre les femmes et les hommes dans toutes les spécialités médicales et même entre les spécialités, les médecins des spécialités à prédominance masculine étant mieux rémunérés. Cet écart n’est évidemment pas attribuable au fait que les femmes travaillent moins d’heures ou moins efficacement; la cause, ont-elles écrit, en est plutôt un « préjugé systémique au sein des facultés de médecine et sur le plan de l’embauche, de l’avancement professionnel, des arrangements en matière de soins cliniques, des dispositions tarifaires en tant que telles et des structures sociétales de façon plus générale ». 

Les femmes sont également touchées de façon disproportionnée par la hausse constante de la charge administrative en médecine, qui constitue l’une des principales causes d’épuisement professionnel. Une étude récente sur les différences entre les sexes pour ce qui est de l’utilisation des dossiers de santé électroniques (DSE) a montré que les femmes médecins de première ligne passent plus de temps à « travailler dans leurs boîtes de réception », car le personnel et les patients envoient environ 25 % plus de requêtes aux femmes médecins qu’à leurs homologues masculins.
 
Lorsqu’elles sont mères, les médecins sont confrontées également à d’autres difficultés. Je me souviens très bien de l’époque où j’ai dû, en tant que nouvelle maman de retour au travail, jongler avec les exigences cliniques du service des urgences tout en allaitant mon bébé de cinq mois, qui refusait le biberon. L’effondrement du système de soins de santé causé par la pandémie de COVID-19, en particulier dans les soins primaires, a fait en sorte que de nombreuses femmes ont eu du mal à trouver quelqu’un pour les remplacer afin de prendre ne serait-ce qu’un court congé de maternité, problème qui n’a fait que s’aggraver avec l’actuelle pénurie de travailleurs de la santé. 

Si elles n’arrivent pas à trouver quelqu’un pour prendre en charge leurs patients – tâche extrêmement difficile par les temps qui courent –, ces femmes doivent se justifier auprès de leurs collèges des médecins respectifs. De plus, quand elles n’ont personne pour les remplacer à court terme, elles doivent assumer les frais généraux continus associés à leur pratique ou carrément interrompre celle-ci. Et on se demande pourquoi les nouveaux médecins décident de ne pas se lancer dans la médecine familiale longitudinale…
 
Ces problèmes systémiques peuvent entraîner des répercussions dramatiques sur l’expérience des femmes en médecine, et c’est sans compter les problèmes de harcèlement sexuel et de violence sexiste que beaucoup trop d’entre elles subissent. Alors que les cas de harcèlement et de haine à l’endroit des travailleurs de la santé ne cessent d’augmenter, les femmes vivent également une expérience différente sur ce point. Selon des données préliminaires du Sondage national de l’Association médicale canadienne sur la santé des médecins, 75 % des médecins subissent des actes d’intimidation et de harcèlement, et les statistiques sont plus élevées chez les femmes médecins. Pour les femmes autochtones, noires et de couleur, la situation est pire encore. 
 
Cette année, le thème de la Journée internationale des femmes est #MettreFinAuxPréjugés. Cet important message nous encourage tous à promouvoir les changements structurels nécessaires pour faire de l’équité, de la diversité et de l’inclusion autre chose qu’un simple concept. Aujourd’hui, réfléchissons aux réalisations incroyables des femmes et à leurs nombreuses contributions à notre société, et rappelons-nous qu’en médecine – comme dans bon nombre d’autres professions –, il reste beaucoup à faire pour leur permettre de s’épanouir véritablement.
 
J’ai vu passer récemment sur Twitter une image percutante : pour un travail scolaire, un enfant devait attribuer le titre « Mlle » ou « Mme » à une femme dont l’illustration indiquait « mariée ou veuve ». L’enfant a répondu : « Je pense qu’elle est Dre. »

Faisons en sorte de créer un monde où les femmes veulent encore porter ce titre.

La Dre Katharine Smart est pédiatre à Whitehorse, au Yukon, et présidente de l’Association médicale canadienne.

Cette lettre a été publiée initialement dans l’édition du 8 mars 2022 du Globe & Mail
 


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