Association médicale canadienne

Que se passerait-il si la moitié des médecins canadiens réduisaient soudainement leurs heures de travail clinique? 

Quelles seraient les conséquences pour les gens qui veulent recevoir des soins de santé? Ou pour les patients qui attendent des chirurgies et des examens repoussés à cause de la pandémie? Pour les autres médecins et travailleurs de la santé qui peinent déjà à offrir un accès opportun en composant avec des retards massifs? Qu’est-ce que ça signifierait pour notre économie, nos communautés et notre société dans son ensemble?

Ce sont les questions difficiles et effrayantes que nos gouvernements et décideurs politiques doivent se poser. Des données préliminaires du Sondage national de l’Association médicale canadienne sur la santé des médecins indiquent que plus de la moitié des médecins et des apprenants en médecine (53 %) affichent des taux d’épuisement professionnel élevés, comparativement à 30 % lors d’un sondage similaire mené en 2017.

La donnée la plus effarante est que près de la moitié (46 %) des répondants envisagent de réduire leur travail clinique au cours des 24 prochains mois. 

Les répercussions pourraient être dévastatrices dans un pays où plus de cinq millions de personnes n’ont pas de fournisseur habituel de soins de santé et où seulement 40 % des gens qui en ont un peuvent obtenir un rendez-vous en l’espace de 48 heures. 

Nous devrions tous être très inquiets. 

Les patients, dans l’ensemble des provinces et des territoires, ont déjà de la difficulté à recevoir des soins en temps opportun, et cette situation s’est considérablement aggravée pendant la pandémie. De nombreuses personnes éprouvent des douleurs ou de l’inconfort, en attente d’une chirurgie, et d’importants diagnostics, comme des dépistages de cancer, sont reportés. 

Les médecins commencent à peine à rattraper les retards accumulés – retards atteignant des dizaines de milliers de cas qui, rappelons-le, correspondent à autant de patients. Ces médecins traversent péniblement une pandémie qui nous use tous depuis deux ans et qui, malgré ce que de nombreuses personnes veulent croire, est loin d’être terminée.

Les problèmes vont devenir insurmontables si les travailleurs de la santé commencent à quitter massivement la profession. Nos effectifs vivent la pire crise de l’histoire. Pour cette raison, et à cause de lacunes et d’inégalités préexistantes, le système de santé du Canada est à l’agonie.

Les médecins ne sont pas les seuls à éprouver des difficultés. Nous avons rencontré près de 40 organisations nationales et provinciales représentant une grande variété de professions plus tôt ce mois-ci pour discuter de la crise des travailleurs de la santé. 

Toutes ont reconnu que les défis auxquels nous faisons face se sont intensifiés depuis le premier Sommet d’urgence sur les travailleurs de la santé, en octobre 2021. Les travailleurs de la santé, dans toutes les professions, vivent une détresse extrême, et nombre d’entre eux décident de quitter leur carrière pour préserver leur santé. 

Les organisations ont uni leurs voix pour demander des mesures urgentes en réponse à la crise grandissante des effectifs en santé, notamment la création d’une solide source de données afin de vraiment comprendre les besoins et les lacunes partout au pays, la mise en œuvre d’une stratégie nationale en matière de ressources humaines de la santé, et la restructuration du système de santé du Canada pour l’avenir. 

Bien que les gouvernements reconnaissent les difficultés éprouvées dans le domaine de la santé pendant la pandémie, les efforts déployés pour répondre aux problèmes systémiques qui touchent les travailleurs restent jusqu’ici modestes. 

Les soins de santé sont principalement une responsabilité des provinces et des territoires, qui ne peuvent toutefois plus gérer la crise chacun de son côté. C’est un problème pancanadien qui ne pourra être réglé que par une étroite collaboration entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Un leadership et des investissements fédéraux stratégiques sont requis pour rétablir la prestation des soins de santé au Canada. 

Le ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos, l’a d’ailleurs reconnu la semaine dernière quand il a annoncé un financement de 2 milliards de dollars pour aider les provinces et les territoires à faire face aux pressions immédiates sur le système de soins de santé liées à la pandémie, en particulier les retards dans les opérations, les interventions médicales et les diagnostics. Il s’agit d’un investissement bienvenu.

Nous avons besoin d’une planification intégrée des ressources humaines de la santé à l’échelle pancanadienne. Nous savons qu’il y a environ 118 200 postes vacants dans les domaines des soins de santé et des services sociaux, partout au pays, pourtant il n’existe aucun plan pour répondre à cette pénurie massive.

Nous devons également améliorer l’accès des patients aux médecins de famille et aux équipes de soins primaires, et nous pressons le gouvernement d’en faire immédiatement une priorité.


C’est pourquoi l’AMC recommande qu’un montant de 1,2 milliard de dollars sur quatre ans soit alloué à un fonds d’accès aux soins primaires et que 2 millions de dollars soient réservés à une évaluation de la capacité de formation interprofessionnelle des médecins de famille et d’autres professionnels des soins primaires. Nous devons absolument développer des soins primaires collaboratifs interprofessionnels si nous voulons améliorer l’accès aux soins. 

Finalement, nous devons créer un permis d’exercice national afin d’abolir les obstacles à la mobilité des médecins, pour leur permettre d’accroître l’offre de soins dans les communautés rurales et éloignées, de gérer les enjeux liés aux soins virtuels et de prodiguer des soins là où les besoins sont les plus criants.

Tant que les gouvernements et les décideurs politiques, à tous les niveaux, ne commenceront pas à collaborer afin de trouver des solutions concrètes pour combler les lacunes de notre système de santé, ce système et ceux qui y travaillent vont continuer à en souffrir. Et, malheureusement, c’est toute la population qui écopera au bout du compte. 

La Dre Katharine Smart est pédiatre à Whitehorse, au Yukon, et présidente de l’Association médicale canadienne. 

Republié avec la permission du Hill Times.
 


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