Surmonter la dépendance : Dr Michael Kaufmann

En 1986, il a décroché le téléphone et demandé de l’aide pour sa dépendance aux opiacés. Par la suite, il a aidé des milliers d’autres médecins dans des situations semblables. Voici son histoire.

Cette histoire a été enregistrée à l’été 2019.

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Je suis le D^r Michael Kaufmann. Je suis l’ancien directeur médical du programme de santé des médecins de l’Association médicale de l’Ontario. J’ai d’ailleurs eu l’honneur d’être nommé directeur médical émérite du programme.

Quand je pense à quand j’ai commencé à prendre de la drogue, je dois reculer très loin dans le temps. Je consommais surtout des opioïdes, et j’ai eu mon premier contact quand j’étais enfant. Je m’en souviens comme si c’était hier : j’avais reçu une injection pour une appendicectomie, je devais avoir 11 ou 12 ans, et c’était une merveilleuse sensation. J’ai d’ailleurs retrouvé cette sensation plus tard dans ma vie, alors je sais que c’était un opioïde, probablement du Demerol.

Je ne me souviens plus quand ni comment, mais j’ai commencé à prendre des opioïdes quand j’étudiais en médecine, surtout quand l’accès est devenu plus facile, c’est-à-dire pendant ma formation clinique, dans les dernières années. Je me donnais le droit d’en consommer parce que je me rappelais avoir aimé la sensation et que je ne voyais vraiment rien de mal à vouloir me sentir bien. Le problème a vraiment commencé à dégénérer vers la fin de mes études, avec le stress du stage clinique, et ça s’est poursuivi pendant la résidence.

Quand j’ai décidé de travailler dans une clinique de médecine familiale dans la région de Campbellford, ma consommation a rapidement pris des proportions alarmantes. Travailler en première ligne, dans les soins hospitaliers, prendre en charge des patients hospitalisés, mettre des bébés au monde, travailler à l’urgence sans filet après une résidence relativement courte de deux ans, c’était très stressant. En même temps, on parle d’une époque où l’accès aux médicaments était assez facile, qu’on parle d’échantillons laissés par des représentants ou de médicaments obtenus pour un supposé « usage interne », ou même pris directement à l’hôpital. C’était assez facile de m’approvisionner.

J’avais déjà compris durant ma résidence que, dans les périodes plus difficiles, quand j’étais exténué ou que j’avais des douleurs la nuit, les opioïdes m’aidaient à me sentir beaucoup mieux, donc je ne voyais aucune raison d’arrêter; ça m’évitait d’avoir à prendre soin de moi. Je pouvais ne pas dormir ou ne pas manger si je n’en avais pas le temps, je pouvais ne pas avoir peur ou être stressé ou inquiet : les médicaments réglaient tout.

Non seulement je pouvais continuer mes activités, mais je pouvais le faire avec un sentiment d’euphorie. Je me sentais très, très bien. En peu de temps, je suis passé des comprimés aux injections. À partir de là, le mur vient rapidement : soit on demande de l’aide, soit les choses tournent mal.

Le jour où j’ai demandé de l’aide, je m’en souviens, l’idée ne venait pas de moi. Pendant des années, j’avais essayé de m’en sortir et de me désintoxiquer par moi-même. J’ai essayé d’arrêter, encore et encore, trop de fois pour les compter, et je réussissais à arrêter et à passer à travers le sevrage, j’arrivais à faire ça. Le problème, c’était de ne pas recommencer. J’arrivais surtout à arrêter quand j’étais en congé, mais tout revenait comme avant dès que je retournais au travail, en quelques heures seulement.

Un jour, j’ai croisé un collègue dans le stationnement de l’hôpital. Je pensais que c’était par hasard, et je lui ai demandé un coup de main. Je voulais qu’on se remplace l’un l’autre en cas d’absence, étant donné qu’il est médecin de famille autonome, comme moi. Il m’a regardé et a simplement dit « non », qu’il ne m’aiderait pas avec ça, mais qu’il m’aiderait pour autre chose. C’est là qu’il m’a dit qu’il savait; rendu là, tout le monde savait. Je consommais depuis environ quatre ans à ce moment. Tout le monde savait, et il était temps que je fasse quelque chose.

Sérieusement, il a sorti de sa poche un petit bout de papier avec un numéro de téléphone et il m’a dit : « Appelle à ce numéro » – je crois qu’il m’a dit d’ici 15 h – « Appelle et demande de l’aide ». C’était le numéro d’un programme qui s’appelait DOC, pour « Doctors On Chemicals »; plutôt laid comme nom, mais pourtant exact, parce que ça décrivait tout à fait ce que j’étais. Il m’a aussi dit que si je n’appelais pas d’ici 15 h – et il vérifierait à 15 h 10 – c’était lui qui allait faire un appel, mais à l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario pour me dénoncer. Dans ma tête, ça voulait dire perdre mon permis d’exercice et mettre fin à ma carrière en médecine. En fait, c’est faux, ça ne se serait pas passé comme ça, mais je l’ignorais à ce moment-là, et j’ai compris qu’il n’y avait plus d’issue.

Je raconte souvent cette histoire, entre autres à des étudiants en médecine, et quand je leur demande ce qu’ils pensent que j’ai fait ensuite, leurs yeux s’animent et ils me répondent toujours : « Vous avez appelé ». Eh bien non. J'étais toxicomane, alors j’ai fait ce que tout toxicomane ferait : j’ai quitté l’hôpital, et je suis retourné à mon bureau pour me faire une dernière injection de Demerol. C’était en mars 1986. Ensuite, j’ai appelé.

Quelqu’un de l’Association médicale de l’Ontario – qui deviendrait un jour mon employeur, mais je ne le savais pas à ce moment-là – a répondu et m’a écouté sans me juger. Il m’a donné le numéro de téléphone d’un médecin spécialisé dans le traitement des toxicomanies qui avait l’habitude de traiter des professionnels de la santé comme moi. J’ai donc appelé, et ç’a été le début du reste de ma vie et de mon rétablissement.

La toxicomanie et mon rétablissement ont complètement transformé ma carrière en médecine. Premièrement, bien sûr, j’ai repris un fonctionnement normal et j’ai retrouvé mon intégrité. On m'a montré comment utiliser mes compétences et mes connaissances pour mes patients, en restant honnête et en gardant toute ma tête. Je m'intéressais déjà à la santé mentale, alors j'ai creusé un peu plus. J’ai commencé à traiter les toxicomanies, ce que tous les médecins de famille devraient faire de toute façon, parce que beaucoup de patients ont ce problème. J’ai suivi des cours pour obtenir une certification en traitement des toxicomanies, et un jour, je suis tombé sur une offre d’emploi qui parlait de ressusciter l’ancien programme « Doctors On Chemicals », dont j’ai déjà parlé. On cherchait quelqu’un pour se charger du dossier. Malgré tous mes efforts pour l’ignorer, je n’ai juste pas pu résister. C’est comme ça que trois mois plus tard, après plusieurs rondes d’entrevues, je réorientais ma carrière et devenais directeur fondateur du programme de santé des médecins de l’Association médicale de l’Ontario, le Physician Health Program – oui, on a changé le nom, c’est l’une des premières choses qu’on a faites – et j’y suis resté pendant 22 ou 23 ans.

Ce fut difficile de quitter la médecine familiale. J’adorais mes patients et ma pratique, mais c’était valorisant de savoir que pour chaque médecin qu’on aidait, des milliers de personnes pourraient en bénéficier.

Qu’est-ce que je peux dire de plus? Je me considère très chanceux d’avoir cette maladie, la maladie de la dépendance, et je suis profondément reconnaissant envers toutes les personnes qui m’ont aidé à mieux la comprendre, à composer avec elle, et à poursuivre mon rétablissement en transformant mon expérience pour donner un sens à ma vie, un sens à tout ça, et en faire profiter les autres. Voilà pourquoi je parle ouvertement de mon vécu depuis le début.