Association médicale canadienne

Par Hayley Harlock, M.T.S., T.S.

La pandémie de COVID-19 continue de compromettre la santé et le bien-être de la population canadienne, à la fois sur le plan mental et physique. Les médecins et leur famille, quant à eux, sont tout particulièrement touchés. Jusqu’à présent, il a beaucoup été question de la menace que présentent l’anxiété, les préjudices moraux, l’usure de compassion et l’épuisement professionnel pour les médecins. Cette menace s’applique aussi au bon fonctionnement de nos systèmes de santé et à notre capacité à offrir des soins de qualité empreints de compassion, et ce, de manière durable.

Lorsqu’elle se porte bien, la famille agit comme zone tampon contre les facteurs de stress continus auxquels sont exposés les médecins, en favorisant leur santé physique et leur bien-être psychosocial. Toutefois, à ce jour, les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur les familles des travailleurs de la santé n’ont pas été suffisamment prises en compte ou étudiées. Au début de la pandémie, les auteurs d’un article publié dans The Lancet déclaraient que les mesures de soutien et de solidarité envers les travailleurs de la santé devaient également permettre « d’alléger le fardeau pour les membres de leur famille », arguant qu’ils étaient eux aussi « soumis à un niveau de stress, d’isolement et de détresse émotionnelle exceptionnellement élevé. »

Je ne peux qu’être d’accord avec cette recommandation, étant moi-même épouse d’un médecin et travailleuse sociale. Je le vois aussi dans mes interactions quotidiennes avec des familles de médecins en ma qualité de fondatrice de la communauté The Flipside Life (TFSL). Nous n’avons pas accordé suffisamment d’attention aux facteurs de stress que subissent les familles des médecins (et des travailleurs de la santé) depuis le début de la pandémie. Les conjoints et conjointes des médecins fournissent un soutien essentiel et continu en coulisses, un rôle qu’ils assument instinctivement et souvent par nécessité. Ce qui touche une personne touche tout son entourage.

Tous s’entendent pour dire qu’on ne peut pas prendre soin des autres sans d’abord prendre soin de soi. Avec la pandémie qui perdure, bon nombre de conjoints ou conjointes de médecins (y compris dans les couples de médecins) disent trouver plus difficile d’offrir du soutien, car ils éprouvent eux-mêmes de plus en plus un sentiment d’isolement, de frustration et d’épuisement émotionnel et physique. Bien que la pandémie de COVID-19 ait mis en lumière l’importance d’accorder la priorité à la santé physique et mentale des médecins, la honte et la stigmatisation associées au fait de solliciter de l’aide demeurent un obstacle important pour de nombreux médecins et leur famille. La méconnaissance des programmes et services disponibles peut également limiter la motivation d’une personne à rechercher une forme de soutien. Il arrive aussi que les médecins hésitent à demander de l’aide parce qu’ils n’ont pas assez de temps ou d’énergie pour le faire, ou parce qu’ils craignent de transmettre aux fournisseurs de services des renseignements hautement confidentiels ou qui pourraient mettre un frein à leur carrière. Au sein de notre communauté, nous entendons des anecdotes inquiétantes et voyons des statistiques alarmantes tirées d’études sur les problèmes de santé mentale auxquels se heurtent les travailleurs de la santé, ce qui comprend notamment le stress post-traumatique et le suicide. Pourtant, malgré l’augmentation significative des problèmes de santé mentale chez les médecins, ceux-ci ne sont pas plus nombreux à demander de l’aide.

De héros à méchants

Il est plus important que jamais de soutenir et de protéger les médecins du Canada et leur famille. La lutte prolongée et continue contre la COVID-19 a entraîné un changement majeur dans la perception du public, pour qui les médecins sont passés de héros au début de la pandémie à méchants lorsque les restrictions et la vaccination obligatoire ont été imposées par les gouvernements. Les familles de médecins ont également ressenti ce changement qui, malheureusement, continue de s’intensifier à mesure que la pandémie persiste.

D’innombrables médecins du Canada ont été la cible d’actes d’intimidation en ligne et de harcèlement. Ils ont reçu du courrier haineux contenant des menaces à leur sécurité et à leur bien-être à leur lieu de travail, à l’adresse de leur organisme de réglementation, parfois même à leur domicile. Les insultes constantes à l’endroit des médecins, des infirmières et des autres travailleurs de la santé constituent une menace légitime non seulement pour leur sécurité et leur bien-être personnel et ceux de leur famille, mais aussi pour la viabilité de nos systèmes de soins de santé et de la prestation des soins aux patients. Cela doit cesser.

Difficile d’inverser les rôles

Pour la plupart des médecins, qui ont l’habitude d’aider les autres, il n’est pas facile d’inverser les rôles et de demander eux-mêmes de l’aide; il en va de même pour leurs conjoints ou conjointes. Peut-être est-ce le sous-produit de nombreuses années de culture médicale toxique, où la dissimulation des émotions est devenue le prix d’entrée pendant les années de formation, et une attente tacite tout au long de la pratique. Ou peut-être s’agit-il des attentes inhumaines et irréalistes qui ont longtemps été imposées aux médecins, et qui n’ont jamais été remises en question jusqu’à tout récemment. Les membres des familles de médecins deviennent rapidement des êtres profondément altruistes, ce qui les empêche bien souvent d’accéder aux ressources dont ils ont besoin. En outre, les médecins et leur famille sont prompts à reconnaître leurs privilèges – et ce faisant, ils minimisent souvent leurs propres difficultés, peu importe la gravité, sous prétexte que les autres se trouvent dans une situation bien pire et méritent davantage de recevoir de l’aide.

Pour un avenir plus sain

Il est maintenant temps de réfléchir à la façon de relever les défis qui subsistent en lien avec la pandémie et de planifier l’avenir pour nos familles de médecins, dans un monde post-COVID. Il est peu probable que nous puissions revenir totalement à ce que nous étions avant la pandémie; en tant que communauté, nous avons changé à jamais. Pour guérir, nous devrons d’abord examiner et normaliser ensemble nos expériences individuelles et collectives. En tant que communauté, nous avons l’occasion de nous rassembler et de nous soutenir les uns les autres dans le cadre d’appels groupés TFSL pour les conjoints et conjointes d’étudiants ou étudiantes en médecine et de médecins, de séances de soutien par les pairs de l’AMC et d’autres événements sélectionnés pour les médecins et leur famille. Ces interactions contribuent à favoriser un sentiment d’appartenance et de compréhension, en plus de susciter l’espoir d’un retour à la normale et de jours meilleurs. Dans les temps à venir, nous devons absolument garder espoir pour guérir notre communauté et reconstruire notre système de santé.

Les fissures qui fragilisaient déjà le système de santé et la culture médicale avant la COVID-19 se sont transformées en gouffres. Nous avons maintenant la possibilité de redéfinir ce à quoi doit ressembler le système ainsi que les éléments qu’il doit inclure. C’est l’occasion, pour notre système de santé et pour les personnes qui le composent, de faire mieux. Avec la pandémie, les médecins sont passés de héros à méchants – il est grand temps de les voir tels qu’ils sont : des êtres humains.

Cela est non négociable : nous devons apporter des changements systématiques pour créer et entretenir une culture axée sur la sécurité psychologique, la santé mentale et le bien-être de tous les travailleurs de la santé et de leur famille, au sein des systèmes de soins de santé et du milieu médical dans son ensemble. En tant que médecins de famille, partenaires communautaires et parties prenantes du système de santé, nous avons tous un rôle à jouer pour veiller à ce que des changements significatifs soient enfin mis en place. The Flipside Life fait sa part en continuant d’offrir un soutien continu essentiel et un lieu d’échange aux conjoints et conjointes des étudiants ou étudiantes en médecine et des médecins, tout en travaillant avec ses partenaires communautaires. L’Association médicale canadienne offre aux médecins et aux étudiants en médecine de nombreuses ressources utiles en matière de bien-être, notamment le Carrefour du bien-être des médecins et la Trousse pour assurer son bien-être en temps de pandémie.

C’est un euphémisme que d’affirmer que notre communauté a vécu des moments difficiles depuis le début de la pandémie. Alors que nous commençons notre parcours de guérison, rappelons-nous l’importance de faire preuve de compassion, de clémence et de gentillesse envers nous-mêmes et envers nos familles.

Puisse notre communauté de familles de médecins guérir et avancer ensemble.

Sujets

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