Association médicale canadienne

Merci, Monsieur le président.

C’est un honneur d’avoir la chance de témoigner devant vous aujourd’hui. Le fait que nous nous réunissions virtuellement plutôt qu’en personne est une autre preuve de la gravité de la situation à laquelle nous faisons tous face au Canada.

Après examen des actions posées par le Canada en réaction à la pandémie de COVID-19, je suis heureux de présenter le point de vue des travailleurs de première ligne qui vont chaque jour au front pour y mettre un frein.

Je suis le Dr Sandy Buchman, et j’ai plus de 20 ans d’expérience en médecine familiale intégrée. Je m’intéresse particulièrement aux soins primaires, aux soins contre le cancer, aux soins palliatifs, au VIH/sida, à la santé mondiale et à la responsabilisation sociale. J’ai prodigué des soins palliatifs à domicile pendant plus de 15 ans, y compris à des personnes en situation d’itinérance à Toronto. Je témoigne aujourd’hui devant le Comité à titre de président de l’Association médicale canadienne.

Je n’étais pas né au moment de la grippe espagnole, en 1918. L’AMC, elle, était là.

Je n’étais pas non plus président quand le SRAS a frappé en 2003. Ni pour la grippe H1N1, en 2009. L’AMC, elle, était là.

L’organisation qui représente les médecins du Canada a été témoin de graves épidémies durant ses 153 ans d’existence. L’Association médicale canadienne défend les intérêts et le bien-être des médecins qui s’occupent de la santé de la population. J’ai aujourd’hui l’humble honneur de parler au nom de nos membres : les médecins de première ligne.

Comme nous le savons tous, la pandémie de COVID-19 évolue rapidement.

Nous n’avons eu aucune emprise sur son apparition, ni sur le moment de son arrivée au pays. Mais, dans la mesure où nous avons l’équipement nécessaire, nous avons de l’emprise sur nos interventions en réaction à la crise.

Les messages sur la santé de la population et de l’économie n’ont aucune valeur s’ils ne font pas mention d’un pilier tout aussi fondamental : la santé et la sécurité des travailleurs de première ligne.

Il est extrêmement urgent d’appuyer nos professionnels de la santé, et nous savons combien il est important de disposer de l’information nécessaire pour prendre des décisions en ce sens.

Nos membres disent que le manque d’équipement de protection individuelle est encore plus grave que ce qui a été révélé.

Nous avons mené un bref sondage pour connaître les histoires de terrain des médecins. Les 30 et 31 mars, près de 5 000 médecins, presque autant de médecins communautaires que de médecins travaillant en milieu hospitalier, ont répondu à l’appel. Le sondage était essentiel pour donner l’heure juste concernant la situation en première ligne. Nous avons maintenant une idée claire de ce que les médecins observent et vivent en lien avec l’équipement de protection individuelle – l’EPI – mis à leur disposition, ce qui comprend les masques chirurgicaux, les respirateurs N95, les visières, les jaquettes et les gants.

Les réponses reçues décrivent une sombre réalité. Ils lèvent le voile non seulement sur des problèmes d’approvisionnement et de distribution d’équipement de protection individuelle, mais aussi sur un énorme manque d’information concernant les stocks et les façons d’obtenir de l’équipement.

Le prix de cette incertitude pèse lourd sur les travailleurs de la santé d’un bout à l’autre du Canada.

Ils ont peur. Ils sont inquiets. Ils se sentent trahis. Ils ne connaissent pas l’état des stocks.

Plus du tiers des médecins du secteur communautaire – qui travaillent dans les cabinets de médecins, les cliniques sans rendez-vous et les centres de santé – ont affirmé qu’ils allaient manquer de masques, de respirateurs, de visières et de lunettes dans deux jours ou moins. Ou qu’ils en manquaient déjà.

C’était il y a sept jours.

Au cours du dernier mois, 71 % des médecins en milieu communautaire ont tenté d’obtenir des fournitures, mais moins de 15 % ont reçu leur commande ou une confirmation qu’elle était en route. En Nouvelle-Écosse, seulement 2 % des médecins ont indiqué que leur commande passée récemment avait été reçue ou expédiée, ce qui représente moins de 50 médecins.

Pour ce qui est des sources d’approvisionnement de rechange, un médecin sur dix en attente de fournitures connaît une source d’approvisionnement gouvernementale. Le taux le plus élevé est chez les répondants de l’Alberta, avec 26 %, et le plus bas, chez ceux de la Nouvelle-Écosse, avec 5 %, et du Nouveau-Brunswick, avec 0 %.

Les médecins qui travaillent principalement dans les hôpitaux, où on dirige les cas de COVID-19, ne savaient majoritairement pas combien de temps leurs réserves dureront. Beaucoup de répondants ont reçu la consigne de rationner l’équipement.

Des médecins déplorent le manque d’information et de transparence. Ils reçoivent des indications floues et incohérentes au sujet des stocks et de l’utilisation d’EPI. C’est maintenant une préoccupation et une source d’anxiété majeures.

Parmi ceux qui œuvrent en milieu communautaire, 94 % ont dit pouvoir, jusqu’à un certain point, fournir des soins par téléphone. Plus du tiers peuvent le faire par vidéoconférence, et le quart, par courriel ou message texte. Les répondants ont toutefois signalé qu’il y a beaucoup de cas où il faut examiner le patient en personne.

Le Canada est reconnu pour son système de santé. Les failles du système sont toutefois évidentes, depuis trop longtemps, pour ceux d’entre nous qui y travaillent. Le retard dans la prise de mesures de sécurité apparaît maintenant encore plus évident — et pour plus de gens.

Les besoins aujourd’hui pressants sont exactement ceux que le Canada cherchait déjà, en situation normale, à combler. Ils ont été relégués au second plan beaucoup trop souvent et pendant trop longtemps.

Même dans le meilleur des cas, les hôpitaux du Canada fonctionnent en surcapacité. Des millions de personnes n’ont pas de médecin de famille. D’innombrables communautés sont aux prises avec des pénuries de soins. De plus, des populations sont particulièrement vulnérables pendant cette pandémie, comme les personnes en situation d’itinérance ou à faible revenu, les personnes âgées – en particulier celles qui vivent dans un établissement de soins de longue durée ou un CHSLD –, les peuples autochtones, les détenus et les personnes qui ont des problèmes de santé complexes ou un handicap, pour ne nommer que celles-là. Ces groupes ont de la difficulté à obtenir des soins, et leur vulnérabilité accrue à la maladie est très inquiétante. En même temps, les soins virtuels n’en sont qu’à leurs premiers balbutiements, et pour le moment rien de concret n’a été fait dans le projet de permis d’exercice national.

Nous sommes ravis que le gouvernement fédéral cherche à s’attaquer à ce problème en priorité. Nous saluons le travail d’innovation de nos industries qui délaissent leurs activités habituelles pour fabriquer de l’EPI. Et nous comprenons le contexte de concurrence mondiale où il faut trouver de l’équipement de protection pour nos fournisseurs de soins. Il est toutefois inacceptable de leur demander d’être en première ligne sans l’équipement approprié. Il faut tout de suite régler la pénurie et faire connaître l’état des stocks. Des vies humaines sont en jeu.

Demanderait-on à un pompier d’entrer dans un édifice en feu au péril de sa vie sans équipement de protection adéquat? Les médecins et les autres travailleurs de la santé qui sont dans le feu de l’action ont un devoir. Ils sont prêts à faire face au danger. Ils ont aussi des droits, notamment celui d’être protégés lorsqu’ils se mettent en danger. Ils mettent également à risque leur famille et leurs proches. En retour, la société et le gouvernement ont l’obligation morale de les protéger. C’est pourquoi il est absolument crucial d’avoir l’EPI adéquat sur le terrain.

Nous ne pouvons gagner la guerre contre la COVID-19 sans EPI.

Nous vivons une période très particulière, et je suis heureux que vous reconnaissiez le sentiment d’urgence ressenti en première ligne.

L’histoire a démontré à maintes reprises que les périodes de crise peuvent tracer la voie vers l’avenir. Prions pour que cette crise nous mène vers un monde en santé.

La situation est difficile, mais il ne faut pas oublier ce qu’elle nous enseigne sur le plan de la préparation.

Nous devons faire en sorte que les professionnels de la santé soient en sécurité. Pour passer ensemble à travers cette crise, il nous faut faire des médecins et de tous les travailleurs de la santé notre priorité.

En terminant, Monsieur le président, permettez-moi de remercier une fois de plus le Comité de m’avoir invité à participer aux délibérations d’aujourd’hui et à vous parler de ce que vivent les médecins canadiens. Nous devons fournir des moyens de défense à ceux qui nous protègent. Autrement, ils sont impuissants. Et sans eux, la population canadienne est elle aussi impuissante.

Merci. Thank you. Migwetch.

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