En septembre 2024, l’Association médicale canadienne (AMC) présentera ses excuses, au nom de l’Association et en tant que porte-parole nationale des médecins, pour les préjudices continus subis par les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Dans le cadre du processus de présentation d’excuses, le Dr Alika Lafontaine, président sortant de l’AMC, a animé une discussion virtuelle sur la réconciliation en tant qu’effort communautaire avec des médecins autochtones et non autochtones.
Voici certains des faits saillants de la discussion.
« Les médecins doivent reprendre leur rôle traditionnel de leaders de la communauté »
Dr Evan Adams, médecin hygiéniste en chef adjoint de la Régie de la santé des Premières Nations et omnipraticien au sein de la Première Nation Tla’amin, près de Powell River, en Colombie-Britannique, et conseiller de l’AMC
« Je suis le fils de deux survivants des pensionnats autochtones. Ma mère a passé deux ans dans un sanatorium, de l’âge de cinq à sept ans. C’est très pénible d’y repenser et de se demander : qui peut faire ça, qui peut placer des enfants, isoler des enfants, qui peut faire des expériences sur des enfants, qui peut être aussi insensible envers des Autochtones? Tout ce que je peux en conclure, c’est qu’ils ne nous voyaient pas comme des humains.
J’ai l’impression que, parfois, en tant que médecins, nous oublions que nous ne servons pas seulement des personnes malades, mais aussi des communautés. Je pense que les médecins doivent reprendre leur rôle traditionnel de leaders de la communauté, de modèles de bonté, de service et d’entraide, de leaders d’opinion et de personnes qui peuvent montrer aux autres de meilleures façons d’être. »
Transcription de la vidéo
DR EVAN ADAMS : Je suis le fils de deux survivants des pensionnats autochtones. Ma mère a passé deux ans dans un sanatorium, de l’âge de 5 à 7 ans, même si elle n’avait pas la tuberculose. Son père l’avait.
Il n’a pas eu la possibilité d’aller à l’hôpital.
Il est mort pendant qu’elle était dans un pensionnat autochtone, cinq ans après qu’on l’ait placée dans un sanatorium.
Une partie de mon travail de reconciliation vise à comprendre ce parcours.
C’est très difficile d’y revenir.
Qui peut faire ça?
Qui peut placer des enfants?
Qui peut isoler des enfants?
Qui peut faire des experiences sur des enfants?
Qui peut être aussi insensible envers des Autochtones?
Ce que je peux en conclure, c’est qu’ils ne nous considéraient pas, ne nous voyaient pas comme des humains.
Nous étions des choses.
J’ai l’impression de devoir en appeler aux citoyens, aux gens ici, aux médecins, mais je sens qu’ils le savent très bien, qu’on parle de notre humanité.
Je vous en prie, essayons pour vrai, faisons de notre mieux pour nos peuples autochtones.
J’ai du mal à croire que j’ai passé tant de temps à rappeler que les Autochtones méritaient nos soins.
Ne les abandonnons pas.
Ne soyez pas négligents lorsque vous les soignez.
J’ai toujours espéré que la médecine, le système de santé et les médecins contribuent à améliorer la santé des Autochtones.
Au Canada, nous avons les plus mauvais résultats en matière de santé du pays.
J’ai reçu une formation de médecin de famille, et ça m’a pris du temps à comprendre que j’avais une très bonne idée de la famille et que je devais améliorer mon idée du rôle de médecin.
J’ai l’impression que, parfois, en tant que médecins, nous oublions que nous ne servons pas seulement des patient(e)s, mais aussi des communautés.
Nous avons en fait une responsabilité envers la réussite du modèle multiculturel et la complexité qui caractérisent notre pays.
J’ai appris beaucoup en observant les autres pays, la façon dont ils composent avec leurs peuples autochtones.
Il y a des leçons à tirer, des leçons littérales pour ainsi dire, il faut s’y render et lire ce qui s’est passé dans ces autres pays.
Alors j’encourage nos collègues médecins à faire exactement cela.
J’aimerais tant qu’on en apprenne davantage sur le racisme envers les Autochtones.
C’est très étrange que ma propre ville natale porte un nom anglais : Powell River.
Le refus de renommer les lieux pour qu’ils retrouvent leurs noms autochtones est plutôt surprenant et me consterne vraiment.
Lorsqu’on parle de reconciliation aux personnes ordinaires, elles disent souvent des choses très méchantes. Elles ne se montrent pas sous leur meilleur jour en disant : "vous n’aviez pas de système d’écriture, alors vos savoirs sont inférieurs".
"Vous avez perdu la guerre. Le pays nous appartient aujourd’hui".
"Nous pensons que vous exagérez au sujet de ces bébés et de ces pensionnats".
Alors commencent ces détours interminables où je dois éduquer et mendier des aveux.
Pourriez-vous être un peu moins grossiers à propos de ce qui est arrivé à ces enfants?
Et choisir d’être des personnes, des partenaires légitimes, comme dans une famille où on se lève pour dire je vais faire ma part et cesser de me comporter en rustre.
Je pense vraiment que la réconciliation, c’est plus facile à dire qu’à faire. Il est question d’équité dans les services, d’équité dans les résultats.
Et je pense que les médecins doivent reprendre leur ancien role de leaders de la communauté, d’exemples de bonté, de service et d’entraide. Puisque les leaders sont des personnes qui peuvent montrer aux autres de meilleures façons d’être.
Bien sûr, il faut inclure nos collègues médecins autochtones dans l’étude des compétences autochtones, des systems de connaissance autochtones, avec les gardien(ne)s du savoir, etc. Je vais m’arrêter ici.
« Vous devez tout simplement faire le travail »
Dre Onye Nnorom, responsable de la formation en santé des personnes noires, département de médecine familiale et communautaire, Université de Toronto
« L’exemple que j’utilise est celui d’une étudiante ou d’un étudiant en médecine qui doit faire le travail d’apprentissage, étudier et suivre les bonnes procédures.
La première fois que vous faites une gazométrie artérielle, ça ne fonctionnera peut-être pas. Mais vous vous efforcez quand même d’apprendre, parce que vous voulez sauver des vies. Et quand il vous arrive de faire une erreur, de piquer plusieurs fois, cette personne malade n’a pas à vous pardonner ou à dire “merci pour votre bravoure”. Non. Elle pourrait même être très fâchée contre vous. Mais ça ne vous empêche pas de faire de votre mieux parce que vous voulez bien faire votre travail de médecin. Vous vous excusez humblement, vous apprenez de vos erreurs et vous essayez de faire mieux, parce que vous savez que c’est essentiel. Vous ne dites pas, OK, je ne vais pas apprendre à faire une gazométrie artérielle. Je pourrais faire une erreur.
C’est la même chose avec ce travail. Le racisme tue des personnes malades. »
Transcription de la vidéo
DRE ONYE NNOROM : Je crois que c'est vraiment important…
voici l’exemple que j’aime utiliser : vous étudiez en médecine, et vous devez faire une gazométrie artérielle, d’accord?
Vous devez tout simplement faire le travail. Vous devez étudier.
Vous devez suivre les bonnes procédures.
Vous ne pouvez pas faire le tour du service avec une seringue,en essayant de piquer n’importe qui.
Alors vous faites le travail. Vous faites les lectures.
Vous savez, dans cet exemple, et dans le cas de la formation sur la sécurité culturelle, il y a différents types d’apprentissage et de compréhension.
Il faut comprendre aussi la force, la souveraineté et la solidarité autochtones, leur art, la beauté, la résistance,et tout le reste.
Il faut faire l’apprentissage.
Puis, avec l’aide de collègues qui sont plus expérimentés, passer à l’action, comme on dit.
La réconcil-action.
Ça veut dire que dans le feu de l’action, on pourrait faire des erreurs.
Il arrive d’avoir cette réaction, ce réflexe de lutte ou de fuite.
Pour y faire face en médecine…par exemple, lorsque vous faites une gazométrie artérielle la première fois, ça ne fonctionnera peut-être pas.
Mais vous vous efforcez quand même d’apprendre, parce que vous voulez sauver des vies.
Et quand il vous arrive de faire une erreur, de piquer plusieurs fois, ce patient n’a pas à vous pardonner ou à dire merci pour votre bravoure ou quoi que ce soit. Non.
Il pourrait même être très fâché contre vous.
Mais ça ne vous empêche pas de faire le mieux possible parce que vous voulez bien faire votre travail.
Parce que vous voulez sauver des vies.
Vous vous excusez humblement, vous apprenez de vos erreurs et vous essayez de faire mieux. Parce que vous savez que c’est essentiel.
Vous ne dites pas, OK, je ne vais pas apprendre à faire une gazométrie artérielle.
Je pourrais faire une erreur. Alors, je pense que c’est la même chose avec ce travail. Le racisme tue des patients.
On s’entend là-dessus?
Que ce soit des idées préconçues sur la patientèle, de la violence envers les patient(e)s, ou parfois de la pure négligence,de la déshumanisation et un manque d’empathie.
Vous savez, Joyce Echaquan n’est que la pointe de l’iceberg dans ces exemples.
Vous devez comprendre que vous avez un travail à faire, afin d’aider vos patient(e)s.
Commentaire : Réflexion sur la réconciliation en tant que médecin non autochtone
« Le changement doit passer par ces conversations difficiles »
Dr Michael Kirlew, médecin de famille de l’autorité sanitaire de la région de Weeneebayko, dans le nord de l’Ontario
« Je pense aux effets insidieux de la colonisation : si l’on ne s’en occupe pas, elle ne disparaîtra pas. Elle ne fera que prendre une forme plus acceptable pour cette génération. Je trouve que parfois… il pourrait y avoir des espaces qui semblent plus inclusifs et prêts à accueillir ces conversations, mais les personnes concernées sont encore parfois paralysées quand vient le temps d’agir. On ne voit pas vraiment beaucoup de gestes concrets. Ou parfois ces espaces n’impliquent pas les communautés qu’ils essaient de servir.
Le changement doit passer par ces conversations difficiles. Le changement n’est jamais confortable. Et je trouve qu’il faut parfois accueillir l’inconfort d’un processus. »
Transcription de la vidéo
DR MICHAEL KIRLEW : Je pense aux effets insidieux de la colonisation.
Et au fait que si l’on ne s’occupe pas de la colonisation, elle ne disparaîtra pas.
Elle ne fera que prendre une forme plus acceptable pour cette génération.
Et je trouve que parfois, oui, il pourrait y avoir des espaces qui semblent plus inclusifs et prêts à accueillir ces conversations, mais ils sont encore parfois paralysés quand vient le temps d’agir.
Et on ne voit pas vraiment, comme on dit, beaucoup de ces gestes concrets.
Vous voyez ce que je veux dire?
Ou parfois ces espaces n’impliquent pas encore, à mon avis, les communautés qu’ils essaient de servir.
Les voix de ces communautés ne sont pas vraiment à la table.
C’est intéressant.
Parfois ces conversations ont lieu sans représentation de la communauté dont il est question.
Je trouve donc que, dans l’ensemble, la pertinence de ces conversations n’est pas universellement acceptée.
Je pense, en fait, qu’il y a encore de la résistance, sans aucun doute.
Il y a encore de la résistance à avoir ces conversations difficiles.
Le changement doit passer par ces conversations difficiles.
Le changement n’est jamais confortable.
Et je trouve que parfois nous avons besoin de nous plonger dans l’inconfort d’entreprendre un processus.
Je peux dire que j’entreprends un processus.
La question est plutôt de savoir si je suis engagé, intrinsèquement, à ne pas me sentir bien dans ce processus.
Ce sera inconfortable.
Puis-je m’engager à cela?
C’est facile d’adhérer aux principes de l’équité.
Mais lorsqu’il s’agit d’abandonner ce que je veux pour le donner à quelqu’un d’autre, par souci d’équité, c’est là la question à laquelle nous devons réfléchir.
Entamer ces dialogues inconfortables, vous voyez ce que je veux dire?
C’est ainsi véritablement que l’on parviendra à cette croissance.
Nous devons être capables d’avoir ces conversations.
Et parfois en raison des effets insidieux de la colonisation les systèmes et les structures ne sont pas faits pour accueillir ces discussions et les faire évoluer en action.
S’opposer au racisme ciblant les Autochtones dans les soins de santé
Ces séances s’inscrivaient dans le cadre des travaux de l’AMC visant à préparer la présentation d’excuses publiques aux peuples autochtones. Les excuses officielles de l’AMC se situent dans le prolongement de son travail visant à améliorer les résultats en matière de santé pour les peuples autochtones et à favoriser la vérité et la réconciliation dans les soins de santé.
En savoir plus sur l’objectif axé sur la santé des Autochtones énoncé par l’AMC