Association médicale canadienne

Mobiliser les médecins pour lutter contre les changements climatiques

20 septembre 2019

C’est dans un bidonville de Djibouti, en 2010, que la détermination de la Dre Courtney Howard à lutter contre les changements climatiques et leurs conséquences négatives sur la santé s’est renforcée. Dans la clinique dirigée par Médecins sans frontières où elle travaillait, elle a vu des centaines de nourrissons et d’enfants souffrant de malnutrition. Beaucoup étaient mourants.  

« Un jour, il y a eu une éclosion de diarrhée. En une semaine, on nous a amené trois enfants morts avant leur arrivée », se rappelle-t-elle.

La moitié de tous les décès d’enfants dans le monde sont associés à la sous-alimentation; en fait, on prévoit que ce sera l’effet le plus dévastateur des changements climatiques sur la santé du siècle actuel. La Dre Howard le savait.

« J’ai ressenti un accès de rage à l’idée que les enfants puissent être victimes de ce fléau et je me suis dit qu’à mon retour au Canada, je ferais tout en mon pouvoir pour empêcher d’autres décès; j’ai réalisé que pour y arriver, je devais d’abord m’attaquer aux changements climatiques. »

Comme urgentologue à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, la Dre Howard a aussi pu constater les répercussions des changements climatiques sur la santé des membres de sa propre communauté. Bon nombre de ses patients vivent dans le delta du Mackenzie, région où, selon les statistiques gouvernementales, la température a augmenté de trois degrés Celsius en moyenne depuis les années 1950. La fragilisation de la glace a augmenté le risque associé à la chasse à l’orignal et au caribou, ce qui compromet la sécurité alimentaire et la santé mentale de la population.

« Ce phénomène a une incidence sur la façon dont la population perçoit son rapport avec le territoire et sa capacité à assurer la survie de sa culture au cours des décennies à venir », explique la Dre Howard.

Même ses propres enfants ont été touchés par les changements climatiques : les feux de forêt répétés à Yellowknife et en Colombie-Britannique ont provoqué chez eux de l’anxiété et des cauchemars.

« Leur jeune vie aura été marquée par ces incidents », admet-elle.

Poussée par son profond désir d’agir concrètement, la Dre Howard s’est jointe à l’Association canadienne des médecins pour l’environnement (ACME). En tant que membre du conseil d’administration, elle a contribué à la coordination d’un groupe de sensibilisation au climat et à la santé dirigé par des médecins, en plus de participer à des travaux sur le transport actif, les régimes alimentaires riches en végétaux, la tarification du carbone, l’élimination progressive des centrales au charbon et les répercussions de la fracturation hydraulique sur la santé. En 2017, elle est devenue la première femme présidente de l’organisation.

Elle représente aussi l’ACME au conseil d’administration de la Global Climate and Health Alliance, un réseau mondial regroupant des organisations non gouvernementales et de santé ainsi que des professionnels de la santé qui s’efforcent de trouver des solutions pour réduire au maximum les répercussions des changements climatiques sur la santé.

Son travail lui a donné l’occasion de contribuer, à titre d’auteure principale, à la rédaction de rapports publiés en 2017, 2018 et 2019 pour le groupe « Compte à rebours santé et changement climatique » du Lancet, un collectif de recherche international assurant le suivi des mesures prises dans le monde entier pour contrer les changements climatiques. Destiné aux décideurs politiques canadiens, ce mémoire aborde essentiellement les liens entre les changements climatiques et la santé au pays ainsi que leurs conséquences à tous les paliers de gouvernement.

Dans le rapport de 2018, élaboré en collaboration avec l’Association canadienne de santé publique et l’Association médicale canadienne (AMC), la Dre Howard a souligné les risques pour la santé dans l’Arctique, les dizaines de décès liés à la chaleur au Québec, les maladies cardiorespiratoires causées par les feux de forêt en Colombie-Britannique et en Alberta, et les troubles de stress post-traumatique associés aux inondations au Nouveau-Brunswick.

« Les changements climatiques sont un enjeu de santé publique, et nous devons commencer à les traiter comme tel, de la même façon que le tabac. Il s’agit d’une urgence, et nous devons utiliser les mécanismes les plus efficaces et les mieux éprouvés pour la traiter. »

La Dre Howard a transmis ce message directement au Parlement, où elle a rencontré les membres du cabinet du premier ministre avec la Dre Gigi Osler, alors présidente de l’AMC. La Dre Howard a insisté sur les recommandations factuelles du rapport, notamment l’élimination progressive des centrales électriques au charbon d’ici 2030, la mise en œuvre d’un programme de tarification du carbone dissuasif et l’augmentation du financement alloué à l’étude des effets des changements climatiques sur la santé mentale.

Le document a été très médiatisé – il a donné lieu à plus d’une vingtaine d’entrevues –, et la Dre Howard a raconté son expérience pour illustrer à quel point la santé des patients était hypothéquée par les changements climatiques. Avec d’autres représentants de l’AMC, elle a ensuite rencontré des membres du personnel de Santé Canada et d’Environnement et Changement climatique Canada. Aujourd’hui, elle reçoit encore au moins deux demandes des médias par semaine sur divers sujets liés au climat et elle aborde fréquemment le sujet, tant au pays qu’à l’international.

« Le fait d’associer les changements climatiques à la santé est le moyen le plus efficace de motiver les gens à agir concrètement puisque cela les touche directement », dit-elle.

La Dre Howard croit fermement que les médecins, étant des communicateurs de confiance et des experts de la santé, devraient être aux premiers rangs du mouvement de lutte contre les changements climatiques. D’ailleurs, de plus en plus de médecins y participent. La Dre Howard a en effet constaté une hausse du niveau d’intérêt et d’engagement parmi ses pairs. À l’ACME, des sections régionales administrées de façon bénévole et dirigées par des médecins ont vu le jour dans cinq provinces. Des organisations nationales de la santé comme l’AMC, l’Association des infirmières et infirmiers du Canada et le Collège des médecins de famille du Canada implorent les partis fédéraux de traiter les changements climatiques comme un enjeu de santé.

Selon la Dre Howard, il s’agira ensuite d’organiser et de former les nouvelles recrues. En plus de son travail comme urgentologue, elle assumera désormais le nouveau rôle de coordonnatrice en matière de changements climatiques dans le cadre d’un projet nommé Coda. Ce projet, basé en Australie, vise à dresser une liste de mesures aux retombées importantes que peuvent prendre les médecins du monde entier dans des secteurs comme l’énergie, le transport, l’alimentation et l’écologisation des soins de santé.

« Incontestablement, le mouvement prend forme; nous faisons de notre mieux pour ériger rapidement les structures nécessaires pour faire fructifier les efforts de nos troupes. »


Les opinions exprimées par les médecins initiateurs de changements le sont exclusivement à titre personnel et ne reflètent pas nécessairement celles de l’Association médicale canadienne et de ses filiales. 

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