Association médicale canadienne
Ben Fung

« La résilience, ce n’est pas la même chose pour tout le monde; c’est ce dont chaque personne a besoin – compétences, habitudes, pratiques – pour retrouver son état normal. »


Au cours de sa troisième année d’études de médecine, alors qu'il effectuait un stage clinique à l’Hôpital Sunnybrook, Ben Fung a perdu un patient. Ce n’était pas la première fois; d’autres de ses patients étaient décédés subitement ou des suites d’un trauma auparavant, mais ce décès l’a touché droit au cœur. Cela faisait des semaines qu’il le traitait, et il avait développé des liens avec lui et avec sa famille.

« Sa mort m’a profondément attristé », se remémore-t-il.

Heureusement, ses collègues étaient là pour le soutenir. Ils l’ont accompagné dans l’examen des résultats et lui ont fait part de leurs propres expériences avec les patients qu’ils ont perdus. Hors du travail, Ben Fung a trouvé du réconfort en en parlant à la maison et en fréquentant dans son quartier le restaurant coréen ouvert 24 heures sur 24 où il se rendait souvent lorsqu’il vivait des périodes difficiles.

« J’y suis allé assez souvent pour savoir que je m’y sens bien, alors j’y vais quand je me sens perdu et que je ne sais pas trop quoi faire ou comment me remettre d’une situation difficile. C’est rassurant », confie-t-il.

« La résilience, ce n’est pas la même chose pour tout le monde; c’est ce dont chaque personne a besoin – compétences, habitudes, pratiques – pour retrouver son état normal. »

C’est le genre de réflexions que Ben Fung a mises de l’avant pour contribuer à la création du nouveau programme de promotion de la résilience offert aux étudiants en médecine à l’Université de Toronto. À l’époque, l’Office of Health Professions Student Affairs (OHPSA) revendiquait l’intégration de la question du bien-être des étudiants au programme même de la faculté de médecine. Quand l’Université de Toronto a accepté de donner des ateliers et de mettre en ligne des modules sur la résilience pour les deux premières années du programme, le service s’est affairé à élaborer un cadre et à recueillir les commentaires des étudiants.

Ben Fung fait partie des nombreux représentants étudiants ayant contribué à définir le contenu du programme.

« Je trouvais injuste et malheureux qu’en tant qu’apprenants en médecine, nous nous concentrions autant sur le bien-être des autres et si peu sur le nôtre. »

Mais pourquoi les étudiants en médecine ne prennent-ils pas soin d’eux-mêmes? Pour répondre à cette question, le comité responsable du programme a commencé par les sonder.

« Nous leur avons posé directement la question : “Qu’est-ce qui nuit à la résilience à la faculté de médecine?” » explique Shayna Kulman-Lipsey, responsable des services de counseling à l’OHPSA et de l’équipe d’élaboration du programme de promotion de la résilience.

Bien des étudiants de première année ont mentionné la stigmatisation associée au fait de demander de l’aide, la honte, la culpabilité et le syndrome de l’imposteur.

Une fois ces obstacles mis en évidence, le comité s’est penché sur les aptitudes et les stratégies dont les étudiants ont besoin pour les surmonter : capacité à aller chercher de l’aide, restructuration cognitive, compassion envers soi-même, conscience des excès de zèle et des pertes de contrôle et pleine conscience.

« À l’Université de Toronto, il y a eu un changement de paradigme évident dans la manière dont on en parle. Il n’est pas rare que les étudiants avouent à leurs pairs ou à leurs mentors qu’ils se sentent épuisés ou qu’ils sont en train de perdre le contrôle. »

Le comité cherchait aussi des façons inusitées de stimuler l’intérêt des étudiants. Ben Fung a proposé une série de vidéos dans laquelle des étudiants, des résidents et des professionnels de la santé raconteraient leurs expériences liées à la santé mentale.

« Ça a toujours été grâce aux histoires de mes collègues et de mes amis, bref, d’autres personnes, que j’ai appris à maintenir ma résilience. »

Comme le comité manquait de ressources pour les vidéos, il s’est porté volontaire en tant que vidéaste amateur pour l’enregistrement et le montage. C’est ainsi que sont nés les Monologues in Medicine.

À sa grande surprise, Ben Fung n’a eu aucun mal à trouver des étudiants acceptant de raconter leurs histoires.

L’un d’entre eux, Noam, a expliqué devant la caméra qu’il a arrêté de se présenter en classe, de voir ses amis et même de manger. Il manquait des examens et ignorait les appels de ses amis inquiets.

« J’ai juste continué à avancer, explique-t-il. Si le reste du monde était capable d’aller de l’avant, comment pouvais-je me permettre de faire autrement? »

Une autre, Haley, a parlé de l’humiliation qu’elle a ressentie après avoir fait une crise de panique en classe.

« C’était horrible. J’étais en classe avec 259 collègues et j’avais beau les côtoyer depuis quelques mois, je ne les connaissais pas assez pour être à l’aise d’éclater en sanglots devant eux. »

Ben Fung explique que les participants ont accepté de raconter leur histoire pour que d’autres se sentent moins seuls. Comme le souligne Angela dans l’une des vidéos : « Les premiers petits pas qu’on fait quand on révèle qu’on a de la difficulté sont vraiment cathartiques. C’est là qu’on réalise que nos collègues de classe sont là pour nous ».

Monologues in Medicine fait désormais partie intégrante du programme de promotion de la résilience pour les deux premières années du programme de médecine de l’Université de Toronto. Le matériel prend autant que possible la forme de témoignages vidéo (il y en a plus de 20) et non de conférences, de modules en ligne ou de documents écrits. Les étudiants de première année visionnent également une bande-annonce au cours de leur semaine d’orientation.

« Chaque fois que nous la leur montrons la première fois, les étudiants voient leurs pairs qui exposent leur vulnérabilité et qui parlent de choses très personnelles et sujettes à la stigmatisation. La salle est complètement silencieuse; ils sont sous le choc », décrit Ben Fung.

« Ils nous disent que c’est rassurant de savoir que l’Université de Toronto a pris des mesures sérieuses pour résoudre ce problème de taille. »

Depuis le lancement du programme de promotion de la résilience en 2016, Shayna Kulman-Lipsey indique que les recours au counseling ont augmenté à l’OHPSA, et que c’est une bonne chose.

« Ce que j’aimerais, c’est d’avoir l’impression que les étudiants viennent nous voir parce que le fait de demander de l’aide les protège et les aide à rester résilients. Nous voulons qu’ils aillent chercher de l’aide », souligne-t-elle.

Ben Fung a, lui aussi, constaté que les choses tendent à se transformer.

« À l’Université de Toronto, il y a eu un changement de paradigme évident dans la manière dont on en parle. Il n’est pas rare que les étudiants avouent à leurs pairs ou à leurs mentors qu’ils se sentent épuisés ou qu’ils sont en train de perdre le contrôle. »

Comme il en est maintenant à sa quatrième année du programme de médecine, il a moins de temps à consacrer au programme de promotion de la résilience, qui rejoint maintenant les étudiants de troisième année. Il croise toutefois les doigts pour que le dialogue qu’il a contribué à instaurer entraîne un changement de culture dans les facultés de médecine canadiennes.

« Ce que j’espère, c’est que l’enseignement de ces stratégies de résilience formelles et informelles mènera à l’avènement d’une nouvelle génération de médecins qui prennent leur santé mentale au sérieux, qui en prennent soin et qui font des choix conscients à cet égard. »


Les opinions exprimées par les médecins initiateurs de changements le sont exclusivement à titre personnel et ne reflètent pas nécessairement celles de l’Association médicale canadienne et de ses filiales. 



Plus de témoignages de médecins

Dre Katharine Smart

Tout médecin redoute le jour où il devra traiter un patient dont l’état est critique sans avoir accès aux ressources médicales nécessaires. C’est justement le travail avec des groupes marginalisés dans des communautés démunies qui a motivé la Dre Katharine Smart, pédiatre, à s’impliquer pour améliorer l’équité en santé.

Pour en savoir plus à propos de Dre Katharine Smart

Dr Scott Adams

La population de La Loche, collectivité éloignée du nord de la Saskatchewan, doit souvent parcourir de longues distances pour obtenir des services d’imagerie diagnostique. Puis la COVID-19 a frappé et limité encore davantage l’accès. Le Dr Scott Adams étudie depuis 2017 la possibilité d’utiliser l’échographie télérobotique pour régler les problèmes d’accès.

Pour en savoir plus à propos de Dr Scott Adams

Dre Ann Collins

La Dre Ann Collins a grandi dans une région rurale du Nouveau-Brunswick. Aînée de huit enfants, elle a toujours voulu travailler en médecine. Son père l’a encouragée à réaliser ses rêves et lui a donné son point de vue. « Il m’a dit : ‘’Ann, je crois que tu ferais une bonne médecin. Pourquoi ne pas choisir cette voie?’’, se souvient-elle. Mon avenir était tracé. »

Pour en savoir plus à propos de Dre Ann Collins

Dr Wassim Salamoun

Le Dr Wassim Salamoun, directeur médical des hôpitaux de l’ouest de l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.), ne connaît que trop bien la difficulté de recruter des médecins en région rurale et éloignée. Pourtant, rien ne l’avait préparé à la grave pénurie de médecins qui a touché l’Hôpital Western d’Alberton (Î.-P.-É.) à l’automne 2017.

Pour en savoir plus à propos de Dr Wassim Salamoun

Dre Jennifer Russel

Pour de nombreux médecins de famille, c’est chose courante : un adolescent en crise vient consulter et cherche à obtenir des soins pour un problème de santé mentale. Le temps presse, mais l’ennui, c’est que l’attente pour voir un pédopsychiatre peut être d’un an. Comme la Dre Jennifer Russel l’explique, c’est exactement le genre de problème que le programme Compass tente de résoudre.

Pour en savoir plus à propos de Dre Jennifer Russel

Dr Matthew Chow

Lorsqu’on va à Maple Ridge, en Colombie-Britannique, c’est souvent pour s’adonner à la pêche au saumon dans le fleuve Fraser ou pour parcourir à pied les 100 kilomètres de sentiers qui sillonnent la région. Mais quand le Dr Matthew Chow s’est rendu pour la première fois dans cette banlieue de la région métropolitaine de Vancouver en 2015, ce n’était pas pour admirer le paysage.

Pour en savoir plus à propos de Dr Matthew Chow

Dr Sandy Buchman

En 1984, le Dr Sandy Buchman est en train de bâtir sa carrière de médecin de famille. Trois ans seulement après avoir obtenu son diplôme, il a sa propre clinique à Mississauga, en Ontario, où il soigne surtout de jeunes familles. Mais un jour, la visite d’un jeune homme gravement malade change son cheminement de carrière malgré lui.

Pour en savoir plus à propos de Dr Sandy Buchman

Dre Courtney Howard

C’est dans un bidonville de Djibouti, en 2010, que la détermination de la Dre Courtney Howard à lutter contre les changements climatiques et leurs conséquences négatives sur la santé s’est renforcée. Dans la clinique dirigée par Médecins sans frontières où elle travaillait, elle a vu des centaines de nourrissons et d’enfants souffrant de malnutrition. Beaucoup étaient mourants.

Pour en savoir plus à propos de Dre Courtney Howard

Dre Jane Lemaire

En 2004, lorsque la Dre Jane Lemaire est devenue vice-présidente responsable du bien-être des médecins au Département de médecine de l’Université de Calgary, on commençait à peine à parler de la question. « On ne trouvait presque pas de ressources (sur le bien-être des médecins). Et surtout, il y avait très peu de sensibilisation, explique-t-elle. »

Pour en savoir plus à propos de Dre Jane Lemaire

Avez-vous un témoignage à partager?

Vous êtes un membre de l’AMC qui inspire le changement dans le système de santé? Vous connaissez un membre de l’AMC qui mène de la recherche d’avant-garde ou élabore des programmes novateurs? Nous voulons vous entendre!

Partagez votre témoignage?

Back to top