Association médicale canadienne

Orienter les politiques publiques sur l’assurance médicaments

23 novembre 2018

« Des millions de Canadiens n’ont pas les moyens d’acheter leurs médicaments. » 

« Pourquoi avoir fait toutes ces années d’études pour devenir médecin si, en fin de compte, les diagnostics que je pose sont peu utiles, les patients n’étant pas en mesure de payer leur traitement? »

Cette question, le Dr Nav Persaud se l’est trop souvent posée.

Le médecin de famille décrit un scénario typique qu’il rencontre dans son travail à l’Hôpital St. Michael de Toronto. Un patient qui présente une hypertension ou un diabète mal contrôlés le consulte et se fait prescrire un médicament. Ce patient ne prend cependant pas le médicament puisqu’il n’a pas les moyens de l’acheter. À un moment donné, ce même patient consulte à nouveau pour le même problème. Durant ses premières années de pratique, le Dr Persaud pensait qu’il ne pouvait rien y faire. Toutefois, lorsque certains de ces patients ont fait des crises cardiaques ou des AVC, il a senti qu’il devait agir.   

« Il est inacceptable que des patients souffrent inutilement, alors qu’il existe des traitements relativement abordables, explique le Dr Persaud. Des millions de Canadiens n’ont pas les moyens d’acheter leurs médicaments : prenons donc les choses en main pour orienter les politiques publiques et améliorer la situation de tous. »

Ainsi, en 2016, le Dr Persaud a lancé l’étude CLEAN Meds (Carefully seLected and Easily Accessible at No charge Medications [médicaments gratuits, choisis avec soin et facilement accessibles]), un essai clinique randomisé évaluant les effets de l’offre aux patients d’un accès gratuit à plus de 125 « médicaments essentiels ». Actuellement, près de 800 personnes participent à cette étude, dans sept centres de santé : quatre à Toronto et trois dans la région de l’île Manitoulin. Au moment de leur recrutement, tous les patients ont mentionné avoir été incapables d’acheter un médicament au cours des 12 mois précédents. 

« Le système actuel – un amalgame d’assurances privées et d’assurances publiques, en passant par l’absence d’assurance – est un gâchis qui place les chauffeurs de taxi, les travailleurs d’usines, les entrepreneurs, les musiciens et bien d’autres dans une position précaire : ils n’ont souvent pas les moyens d’acheter leurs médicaments, et doivent donc prendre des décisions très difficiles. » 

La moitié des participants ont été aléatoirement affectés au groupe témoin, sans qu’aucune aide supplémentaire leur soit offerte en lien avec leur ordonnance. Les autres participants ont été affectés au groupe d’intervention, et un pharmacien qui participait à l’étude a posté les médicaments à leur maison, gratuitement. Par exemple, un patient vivant avec le diabète aurait reçu de la metformine et de l’insuline gratuitement.

« En comparant les deux groupes, nous pouvons établir les effets d’un accès simple et gratuit aux médicaments, explique le Dr Persaud. Les personnes prennent-elles leurs médicaments correctement? Les médicaments peuvent-ils être prescrits de façon plus adéquate? Les patients contrôlent-ils mieux leurs problèmes de santé? »

La liste des médicaments essentiels créée pour cette étude est inspirée d’une liste semblable publiée par l’Organisation mondiale de la Santé, et a été adaptée au contexte canadien. Certains des médicaments sont peu dispendieux, comme l’acétaminophène et la vitamine D, alors que d’autres sont des produits biologiques au coût exorbitant, selon le Dr Persaud. C’est le cas, par exemple, du dolutégravir, un nouveau traitement pour le VIH qui coûte environ 10 000 $ par année. Il ajoute que plusieurs médicaments fréquemment prescrits n’ont pas été inscrits à la liste parce qu’il n’existe pas de preuve de leur efficacité. 

Les résultats des 12 premiers mois de l’étude CLEAN Meds devraient être publiés au début de 2019, peu de temps avant que le Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance médicaments publie son rapport définitif. Le Conseil, présidé par le Dr Eric Hoskins, mène un dialogue national sur la façon d’instaurer un régime d’assurance médicaments abordable pour les Canadiens et leur famille, les employeurs et les gouvernements.  

Le Dr Persaud profite pleinement du moment pour influencer le comité fédéral. Il a fait une présentation au Conseil sur CLEAN Meds et prévoit lui fournir les premiers résultats de l’étude. Il a également participé à une table ronde à Ottawa aux côtés de différents intervenants, a présenté sa liste de médicaments essentiels et a remis un mémoire. Son message au Conseil : il faut créer un système où tous les Canadiens ont accès aux médicaments essentiels et ont les moyens de se les procurer. 

« Le système actuel – un amalgame d’assurances privées et d’assurances publiques, en passant par l’absence d’assurance – est un gâchis qui place les chauffeurs de taxi, les travailleurs d’usines, les entrepreneurs, les musiciens et bien d’autres dans une position précaire : ils n’ont souvent pas les moyens d’acheter leurs médicaments, et doivent donc prendre des décisions très difficiles », souligne le Dr Persaud.  

C’est la réalité de beaucoup de participants à l’étude. Une équipe du Réseau universitaire de santé OpenLab a présenté certaines de ses expériences dans une série de vidéos. 

Allison fait partie du groupe témoin. Elle parle de la vie sur l’île Manitoulin, où la nourriture et l’électricité coûtent extrêmement cher. Elle souffre du syndrome des ovaires polykystiques et doit prendre une hormonothérapie de façon régulière, mais n’est pas toujours capable de le faire puisqu’elle travaille à temps partiel. 

« Si je n’ai pas l’argent au moment de mes renouvellements, ce sont mes parents qui paient; c’est extrêmement difficile pour eux, raconte-t-elle dans la vidéo. Ils sont tous deux retraités et ont un revenu fixe. »

David fait partie du groupe qui reçoit des médicaments gratuitement. Il est un ancien propriétaire d’entreprise qui a fait faillite durant la récession de 2008 et qui vit dans sa voiture. En 2011, il a reçu un diagnostic de lymphome, a subi une chimiothérapie, puis s’en est remis. Par la suite, une complication liée à son traitement d’entretien a causé une crise cardiaque. David souligne que sa participation à l’étude CLEAN Meds améliore sa santé. 

« Le stress est insoutenable, dit-il dans la vidéo. Les avantages d’un programme comme celui-ci, qui enlève ce poids de mes épaules, vont au-delà de l’argent. Le programme me permet de retrouver ma tranquillité d’esprit. »

Le Dr Persaud souhaite que ces histoires personnelles, ainsi que la recherche clinique effectuée dans le cadre de l’étude, influencent les recommandations du Conseil à l’égard d’un système national d’assurance médicaments. 

« L’assurance médicaments semblait être un enjeu très simple, explique-t-il, mais il y a eu peu de progrès en matière de politiques publiques au cours des 40 dernières années. C’est pourquoi nous espérons orienter le changement. » 


Les opinions exprimées par les médecins initiateurs de changements le sont exclusivement à titre personnel et ne reflètent pas nécessairement celles de l’Association médicale canadienne et de ses filiales. 

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