Association médicale canadienne

Oser innover pour sauver un petit hôpital

14 février 2020

« Le concept de tournée hospitalière virtuelle a été accueilli avec beaucoup de réserve. C’était nouveau et on était en droit de se demander si c’était bien possible et si ça pouvait fonctionner partout. »

Le DWassim Salamoun, directeur médical des hôpitaux de l’ouest de l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.), ne connaît que trop bien la difficulté de recruter des médecins en région rurale et éloignée. Pourtant, rien ne l’avait préparé à la grave pénurie de médecins qui a touché l’Hôpital Western d’Alberton (Î.-P.-É.) à l’automne 2017.

Plusieurs médecins de longue date de la petite ville d’agriculteurs et de pêcheurs avaient pris leur retraite. D’autres réduisaient progressivement leurs activités et avaient renoncé à leurs droits hospitaliers. Des dix médecins effectuant des tournées hospitalières en 2014, il n’en restait plus que deux.

Santé Î.-P.-É., la régie provinciale de la santé, avait prévu cette pénurie des années auparavant. Le Dr Salamoun tentait de combler le manque en offrant des primes pour les suppléances, mais cette solution n’était pas viable.

« Nous étions à court d’options, et risquions de devoir fermer l’hôpital parce que nous ne pouvions plus offrir des soins 24 heures sur 24. » – DWassim Salamoun, directeur médical pour l’ouest de l’Île-du-Prince-Édouard, Santé Î.-P.-É.

Le gouvernement provincial a lancé un ultimatum à l’hôpital : proposer un plan de stabilité pour les soins aux patients hospitalisés au plus tard le 6 août 2018, ou fermer ses portes pour de bon.

Le DSalamoun et Paul Young, administrateur de l’Hôpital Western, se sont mis en quête d’une solution.

D’abord, M. Young s’est tourné vers d’autres hôpitaux canadiens, mais il a découvert que beaucoup étaient aux prises avec des pénuries de médecins encore plus graves. Il a donc élargi sa recherche, contactant plus de 100 hôpitaux et systèmes de santé un peu partout aux États-Unis et au Royaume-Uni. C’est là que l’idée de recourir à des solutions technologiques, comme les soins virtuels, lui est venue.

Convaincu que les soins virtuels pouvaient être la clé pour éviter la fermeture de l’hôpital, l’administrateur a joint un gros fournisseur américain de services de télémédecine en milieu hospitalier, pour ensuite apprendre que ce fournisseur ne pouvait pas faire affaire au Canada à cause de la réglementation en matière de confidentialité et de problèmes de licences complexes.

« C’est la seule fois que j’ai pleuré au travail... Je ne trouvais pas de solution à notre problème et croyais que notre sort était scellé. » – Paul Young, administrateur de l’Hôpital Western

Puis il a été frappé par ce qu’il appelle une « idée folle ». Une nouvelle société de santé numérique nommée Maple venait tout juste de lancer des services de télémédecine rémunérés à l’acte à l’Île-du-Prince-Édouard. Puisque la société était déjà autorisée à travailler dans la province, M. Young s’est dit qu’elle pourrait peut-être créer, pour le système de santé publique, une version de sa technologie qui serait destinée aux patients hospitalisés.

Lui et le DSalamoun ont rencontré le Dr Brett Belchetz, cofondateur et chef de la direction de Maple, puis le trio a présenté l’idée aux hauts dirigeants de Santé Î.-P.-É.

« Nous leur avons dit : et si nous pouvions effectuer les tournées de façon virtuelle, sans qu’un médecin doive être sur place? », relate M. Young, ajoutant que les tournées seraient entièrement dirigées par un groupe de médecins éparpillés dans tout le pays.

La direction de l’hôpital a approuvé le plan et l’équipe a finalement pu entrevoir une lueur d’espoir. Mais à six mois seulement de la date butoir, ils devaient abattre des tâches colossales, comme convaincre le gouvernement provincial que le concept de tournée hospitalière virtuelle pouvait fonctionner.

« Le projet a été accueilli avec beaucoup de réserve, se rappelle le DSalamoun. Nous avons dû transmettre un tas de données et prouver que fournir des soins virtuels était faisable. »

« On nous a dit que le projet serait approuvé uniquement si nous pouvions garantir que ça fonctionnerait, ajoute M. Young. Nous avons répondu que ce que nous pouvions garantir, c’est que l’hôpital allait fermer si nous ne tentions pas notre chance. »

Puisque le projet demandait la participation de médecins de l’extérieur de la province qui produiraient des factures dans la province, le DSalamoun devait aussi obtenir la bénédiction de la Société médicale de l’Île-du-Prince-Édouard.

Puis il y a eu la question de la confidentialité et de la protection des données des patients.

À moins de 90 jours de l’échéance, l’équipe a obtenu le feu vert législatif pour amorcer un projet pilote de six mois.

L’équipe de Maple s’est mise au travail pour concevoir, créer et mettre en œuvre une plateforme de tournées hospitalières virtuelles. L’hôpital a dû remanier ses procédures et former le personnel à l’utilisation de la technologie.

Le 7 août 2018, le projet a été mis en branle : c’était la première journée sans médecin sur place. Après quelques semaines, les deux médecins qui faisaient toujours la tournée de leurs propres patients ont pu prendre une fin de semaine de congé, pour la première fois en un an et demi.

Une fois les aspects logistiques réglés, la grande question était de savoir comment les patients allaient percevoir la technologie, d’autant plus que la population d’Alberton était plutôt âgée.

Selon Paul Young, certains d’entre eux étaient ravis de ce projet.

« La deuxième journée, nous sommes allés voir une gentille dame qui a d’abord refusé, disant que si elle devait voir le médecin sur un écran et passer à la télévision, elle devait d’abord se maquiller. »

D’autres patients se sont d’abord interrogés sur la façon dont ils communiqueraient avec une personne à l’écran.

« C’est nouveau et ce n’est pas facile pour tout le monde de s’adapter, explique le DSalamoun. Mais nous avons pu prodiguer des soins de manière sécuritaire et empêcher la fermeture de l’hôpital. »

En six mois, l’équipe de tournée hospitalière virtuelle a pu suivre 72 % des 166 patients ayant reçu leur congé de l’hôpital. Un sondage a révélé que 91 % des patients étaient satisfaits de la qualité des soins reçus lors des tournées virtuelles et que 75 % ont trouvé l’expérience comparable ou supérieure à la visite d’un médecin en personne.

Pour l’instant, l’Hôpital Western a prolongé son contrat avec le service de tournées virtuelles jusqu’à ce qu’il recrute d’autres médecins. Le DSalamoun espère avoir cinq médecins sur place d’ici la fin de l’été, mais en attendant, il est soulagé d’avoir une solution de rechange.

« L’infrastructure est là; le système virtuel a été testé et il fonctionne. Nous avons l’esprit tranquille, sachant que nous ne devrons pas fermer nos portes s’il nous manque un ou deux médecins. »


Les opinions exprimées par les médecins initiateurs de changements le sont exclusivement à titre personnel et ne reflètent pas nécessairement celles de l’Association médicale canadienne et de ses filiales. 

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