Durant sa tournée médiatique de novembre, Geneviève Biron, la PDG de Santé Québec, la toute nouvelle société d’État chargée de gérer l’administration des soins de santé, a maintes fois répété que l’usager sera au cœur de ses priorités. Nombreux ont été les commentateurs à lui faire remarquer que cela fait des décennies que les gouvernements successifs nous répètent la même chose. Alors, comment croire que ce énième rebrassage du réseau sera différent? Et surtout, quelle signification donne-t-on réellement à l’expression « mettre l’usager au centre des décisions »?
On le sait, les cycles électoraux arrivent rapidement et les objectifs à long terme cèdent souvent leur place à des fins de réélection. Ce sera probablement un aspect positif de la nouvelle agence : Santé Québec sera moins ébranlée par un changement de gouvernement que l’actuel ministère de la Santé et des Services sociaux. Ou du moins, nous l’espérons…
Nous en sommes bien sûr toujours à l’étape des suppositions. Santé Québec vient à peine de voir le jour et les défis sont déjà nombreux. Seul le temps nous dira si sa création était la bonne solution. Une chose est certaine, le statu quo n’est plus soutenable!
Encore et toujours la première ligne et les attentes en chirurgie
Tous et toutes s’entendent pour dire que la qualité de la médecine au Québec est de classe mondiale, mais que l’accès est encore et toujours l’enjeu central. En plus de trente ans de carrière, je ne compte plus les gens qui m’ont confié qu’une fois qu’on est pris en charge, le système fonctionne bien. Le problème est d’y avoir accès.
L’offre de soins en première ligne ne suffit plus à répondre à la demande. La demande a bondi, en raison notamment du vieillissement prévisible de la population, alors que l’offre, elle, diminue. Nos médecins vieillissent (25 % ont plus de 60 ans) et les valeurs évoluent : comme le reste de la société, les médecins visent un équilibre travail/famille plus sain. Et, en raison de sa lourdeur, la médecine familiale n’attire plus autant les jeunes médecins.
Or, les gouvernements ont délibérément fait miroiter la possibilité que chaque Québécois et Québécoise ait accès à un médecin de famille. On sait maintenant que c’est mathématiquement impossible et qu’il est nécessaire d’envisager d’autres points d’accès aux soins.
La meilleure solution, et la plus réaliste à mon avis, pour véritablement accroitre l’efficacité de la première ligne repose sur les équipes multidisciplinaires. « Le bon professionnel au moment opportun », voilà le mantra qui devrait guider l’équipe de direction de Santé Québec. Mais pour que cette vision se concrétise, il faudra investir davantage en première ligne.
Et n’oublions pas ces personnes vivant dans l’anxiété de l’attente d’une chirurgie qui n’arrive pas. Elles sont 160 000 sur la liste, dont 10 500 depuis plus d’un an! Il est essentiel et urgent de mettre en action le plan de rattrapage en chirurgie, d’augmenter l’accès aux blocs opératoires, afin que les médecins spécialistes puissent opérer plus et que ces personnes reçoivent enfin les traitements dont elles ont besoin!
Une structure moderne s’il vous plait!
Madame Biron a répété en entrevues que Santé Québec n’ajoute pas une nouvelle structure au réseau, mais en supprime 21 en devenant l’employeur unique et en fusionnant les CIUSSS et CISSS. Certes, mais il n’en demeure pas moins que cette nouvelle agence deviendra le plus grand employeur du Canada et qu’elle aura certainement ses propres enjeux bureaucratiques.
D’un point de vue médical, de grâce, simplifiez-nous la vie lorsqu’il est question de fardeau administratif et d’interopérabilité! Espérons en effet que ce nouvel employeur unique optera pour un réseau informatique moderne qui facilitera la transmission d’informations entre les établissements afin de mieux suivre les patients, peu importe le lieu où ils sont normalement soignés. En cette fin de 2024, souhaitons-nous que le nouveau système numérique soit fort, efficace et qu’il garantisse la confidentialité des données.
Bref, madame Biron et son équipe ont du pain sur la planche. Donnons la chance à la coureuse, et voyons ce que l’avenir nous réserve.
Dr. Jean-Joseph Condé
Porte-parole francophone et membre du conseil d'administration de l'AMC pour le Québec
Cette lettre ouverte a initialement été publiée dans Le Soleil