Balado

Les bienfaits des soins en équipe

26 mai 2022 AMC

La pénurie de travailleuses et travailleurs de la santé au Canada a provoqué une crise qui ne cesse de s’aggraver. Les compromis quotidiens pour prendre soin des patientes et patients tout en répondant aux exigences administratives conduisent à l’épuisement professionnel, et en poussent plusieurs à délaisser les cliniques et les hôpitaux au profit des milieux de soins en équipe.

« Le travail d’équipe me fait me sentir valorisée. Je sens que l’équipe est là pour moi au même titre que je le suis pour la ou le médecin… Je n’ai pas à m’inquiéter de devoir terminer mon quart de travail sur les chapeaux de roues et choisir entre les soins à ma patientèle ou la consignation des données au DME. » – Shawna Pasiciel, clinique HealthWORX

Dans cet épisode, la D^re Caroline Gérin Lajoie s’entretient avec la D^re Christie Newton, médecin de famille de Vancouver, et Shawna Pasiciel, infirmière autorisée de Medicine Hat (Alberta), au sujet des bienfaits de la collaboration interprofessionnelle, tant pour les professionnelles et professionnels de la santé que pour leur patientèle.

Veuillez noter que ce contenu est offert en anglais seulement.

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Les bienfaits des soins en équipe

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Bienvenue à Pensons santé : un balado sur le bien-être des médecins et la culture médicale. Je suis la D^re Caroline Gérin-Lajoie, votre animatrice. Dans un récent épisode intitulé « La “grande démission” commence à toucher le domaine de la médecine », nous nous sommes penchés sur le fait que beaucoup de médecins abandonnent la profession en raison du surmenage, de l’épuisement professionnel et de l’insatisfaction au travail. Le problème est particulièrement criant chez les médecins de famille et ceux exerçant en cabinet privé.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : En plus d’assurer une prestation de soins complète, ils doivent s’occuper d’un grand nombre de tâches administratives comparativement aux autres médecins spécialistes. Selon le Sondage national de l’AMC sur la santé des médecins 2021, 45 % des médecins de famille leur ont consacré entre 10 et 19 heures de travail par semaine, contre 33 % pour les spécialistes.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : La pénurie de médecins de famille au Canada a provoqué une crise qui ne cesse de s’aggraver, et de plus en plus de patients se retrouvent sans accès aux soins primaires. Une solution prometteuse, pour la patientèle comme pour les médecins, consiste à étendre le modèle reposant sur des équipes de soins interprofessionnelles, où les médecins collaborent avec des infirmières, des infirmières praticiennes, des travailleurs sociaux, des physiothérapeutes, des pharmaciens et d’autres professionnels de la santé.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Shawna Pasiciel est infirmière autorisée à la clinique médicale HealthWORX de Medicine Hat, en Alberta. La D^re Christie Newton est médecin de famille à Vancouver et directrice adjointe de la formation et de l’engagement au Département de médecine familiale de l’Université de la Colombie-Britannique. Merci à toutes les deux d’avoir accepté notre invitation.

Shawna Pasiciel : Merci de nous recevoir, Caroline.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Shawna, parlez-nous du personnel qui travaille à votre clinique.

Shawna Pasiciel : C’est une clinique assez grande. On y compte sept ou huit médecins, et chacun est épaulé par une infirmière attitrée. Il y a aussi un consultant en santé comportementale, qui offre du counseling et de la thérapie en santé mentale. Je travaille au sein d’une entité vaste qu’on appelle le réseau de soins primaires, qui couvre le sud de l’Alberta et qui comprend une centaine de médecins et plus de 70 autres professionnels de la santé, dont ceux que je viens de mentionner, ainsi que des diététistes. Avant, nous avions aussi un pharmacien. Tous ces professionnels travaillent dans un cabinet dirigé par un médecin et s’occupent des personnes atteintes de maladies chroniques dans la région.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : En tant qu’infirmière autorisée, quel est votre rôle dans l’équipe de la clinique?

Shawna Pasiciel : Je m’occupe de la prise en charge des maladies chroniques, ce qui comprend de façon générale les trois suivis mensuels pour les cas de diabète ou d’hypertension, le suivi après les séjours à l’hôpital, ou encore les rendez-vous des nouveaux patients. Nous avons la possibilité de prévoir des consultations plus longues. Je vais fixer une plage horaire courte – 20 minutes – pour le suivi d’un patient ou d’une patiente très stable, mais je peux prévoir une rencontre allant jusqu’à une heure, par exemple pour quelqu’un qui sort de l’hôpital avec un nouveau diagnostic. Ainsi, nous avons beaucoup de temps pour informer la personne, gérer ses médicaments dans le DME et lui fournir des ordonnances permanentes au besoin.

Shawna Pasiciel : Je fais aussi beaucoup de tâches administratives pour le médecin, dont vous avez parlé, comme l’examen quotidien des résultats et le tri de la paperasse, car il y en a beaucoup. Je la répartis entre ce je peux faire et ce que le médecin doit regarder et remplir.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Christie, vous avez commencé votre carrière dans une équipe de soins interprofessionnelle. En quoi était-ce semblable à ce que Shawna vient de décrire?

D^re Christie Newton : C’était très semblable, et je suis vraiment jalouse en entendant cela. Vers 2006 et 2007, il y avait à la clinique une équipe interprofessionnelle qui, en plus des médecins de famille, comprenait des professionnels de divers domaines – physiothérapie, ergothérapie, pharmacie, obstétrique – et une infirmière praticienne. Il y avait aussi des étudiants et étudiantes dans toutes ces professions, qui étaient associés à ces fournisseurs. Cela nous semblait essentiel. Aujourd’hui, je prêche pour ma paroisse en tant qu’enseignante : je pense que la formation doit faire partie des modèles de soins en équipe afin d’en assurer la pérennité.

D^re Christie Newton : Malheureusement, à cause de problèmes liés au système, aux établissements d’enseignement et aux politiques, nous avons progressivement perdu ces professionnels. Maintenant, j’enseigne dans une clinique formant des résidents en médecine familiale, car nous mettons aussi en place des réseaux de soins primaires en Colombie-Britannique, qui sont un peu différents de ceux de l’Alberta. Bien que ça ait été un peu difficile pour eux, nous avons maintenant accès à une équipe de professionnels, qui sont répartis entre plusieurs endroits. Je peux diriger un patient ou une patiente vers un conseiller en santé mentale, un pharmacien, et aussi un physiothérapeute, je crois.

D^re Christie Newton : Notre clinique a un poste d’infirmière ou d’infirmier à pourvoir en médecine familiale, mais nous n’avons encore trouvé personne – c’est dû à l’épuisement professionnel, je présume. Donc, comme je le disais, ma clinique actuelle est à court de ressources.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Pour un ou une médecin, en quoi était-ce avantageux de travailler dans ce type de contexte?

D^re Christie Newton : C’était plus efficace. Nous avions le sentiment d’offrir au patient ce dont il avait besoin. Le système et la prestation de soins sont devenus beaucoup trop complexes, et un seul fournisseur ne peut pas s’occuper de tous les problèmes. Maintenant, après chaque consultation, mon sentiment est plutôt que j’aurais pu en faire plus. Je m’inquiète et me demande si ce que j’ai pu offrir au patient ou à la patiente sera suffisant jusqu’à la prochaine visite.

D^re Christie Newton : Quand je travaillais en équipe, je pouvais, par exemple, évaluer un problème musculosquelettique, et au lieu de simplement remettre un document d’information au patient ou de le diriger vers un site Web d’exercices, je pouvais faire appel à mon collègue physiothérapeute et à son étudiant, et fixer un rendez-vous. J’étais plus à l’aise en sachant que le patient serait vu et pris en charge par quelqu’un dont c’est la spécialité, plutôt que de me contenter d’un document ou d’un site Web.

D^re Christie Newton : Même chose lorsque je travaillais avec une infirmière. Si je recevais un nouveau-né en santé en consultation, ma collègue infirmière s’occupait de l’information sur la vaccination. Nous passions ainsi plus de temps avec le patient, et après la consultation, il recevait des soins plus complets que ce que je peux offrir maintenant.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Shawna, où avez-vous travaillé avant de vous joindre à la clinique HealthWORX?

Shawna Pasiciel : J’ai travaillé presque dix ans comme infirmière en salle d’opération ici à l’hôpital de Medicine Hat. J’ai été brièvement infirmière en milieu correctionnel – je venais d’avoir des enfants et voulais éviter les quarts de travail – et aussi formatrice en soins infirmiers. Ensuite, ça a été le retour au travail par quarts à temps plein. Il était clair pour moi qu’en travaillant le soir, la nuit et sur appel, je ne pouvais pas avoir une belle qualité de vie à la maison avec mes deux petits garçons, alors j’ai décidé d’aller vers les soins primaires.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Parlez-nous de l’influence de ce milieu de travail sur votre santé et votre bien-être?

Shawna Pasiciel : J’étais très nerveuse quand j’ai postulé à ce poste. J’étais au beau milieu de ma technique spécialisée de réanimation cardio-respiratoire, que je suivais afin de pouvoir travailler ici. C’était tout un changement. J’étais nerveuse, car je pensais que j’allais m’ennuyer, mais c’est l’emploi qui m’a le plus comblée jusqu’à maintenant – depuis que j’ai eu mon diplôme en sciences infirmières, en 2008 je crois. D’après moi, si j’ai vécu de l’épuisement professionnel quand j’étais aux soins de courte durée, c’est en partie dû au fait que je finissais mon quart de travail avec le sentiment de ne pas avoir terminé mon travail.

Shawna Pasiciel : La semaine dernière, la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers a publié un article sur l’épuisement professionnel. Je crois que c’est Maura MacPhee de la UBC qui a fait un sondage à ce sujet : nous ressentons une pression pour nous occuper des patients, qui sont trop nombreux, et avons l’impression que notre travail ne correspond pas à ce que nous voulions faire en nous lançant dans cette carrière. Je trouve qu’en allant vers les soins primaires, j’ai retrouvé en partie mes motivations premières.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Ce qui me fait un peu penser à la notion de détresse morale, un sentiment qui survient lorsqu’on est incapable d’offrir les soins auxquels auraient droit les patients et les patientes. L’épuisement professionnel et la détresse morale sont deux aspects importants.

Shawna Pasiciel : Oui. Dans beaucoup de provinces, comme au Nouveau-Brunswick et au Manitoba, on offre des incitatifs pour retenir les infirmières. Même si la plupart ne diront pas non à l’argent, je ne pense pas que c’est ce qui les empêchera de partir.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Christie, vous ne travaillez plus dans un contexte interprofessionnel. Racontez-nous ce qui s’est passé.

D^re Christie Newton : C’est dû à beaucoup de facteurs, qui touchaient entre autres les professions. Pour une personne de l’équipe, la politique de l’établissement d’enseignement ne permettait pas aux enseignants de sa profession de travailler à distance pendant que leurs étudiants étaient à la clinique. Cette personne travaillait effectivement assez loin. Ça me fait rire aujourd’hui, parce qu’avec la pandémie et les soins virtuels, nous faisons de la supervision à des kilomètres de distance, parfois à l’autre bout de la province.

D^re Christie Newton : Mais ce n’était pas le cas en 2006 ou 2007; ça n’avait pas encore été envisagé. Donc pour cette raison – la politique de l’établissement et la politique sur la supervision –, et pour ne pas avoir à faire l’aller-retour, cette personne a décidé de travailler dans un centre de santé communautaire. Quant à notre infirmière praticienne, la politique de l’établissement d’enseignement et la rémunération n’étaient pas avantageuses. En soins cliniques, si l’on veut maintenir sa compétence, il faut faire une certaine part de travail clinique. L’infirmière praticienne faisait ses heures cliniques chez nous à titre bénévole, pour pouvoir travailler dans une équipe de soins et promouvoir ce modèle, car nous avions la conviction que c’était le meilleur pour répondre aux besoins des patients.

D^re Christie Newton : Mais à un certain moment, elle a pris conscience que sa faculté ne reconnaissait pas la valeur de son travail, car selon le modèle de rémunération, les professeurs ne pouvaient pas être payés pour le travail clinique. Elle a voulu mieux utiliser son temps en allant dans une clinique où elle serait payée, et nous avons donc perdu notre infirmière praticienne. Les autres professionnels sont partis l’un après l’autre pour diverses raisons. Notre pharmacienne clinicienne a été la dernière à s’en aller, encore là pour des raisons de rémunération. Elle travaillait à la fois pour le département et la Faculté de sciences pharmaceutiques de la UBC.

D^re Christie Newton : Elle comptait près de 40 ans de carrière et a décidé de prendre sa retraite. Nous n’avions plus de pharmacienne clinicienne, et le département et la Faculté de sciences pharmaceutiques ont décidé de ne pas la remplacer. Ainsi, un par un et pour diverses raisons – mais très souvent pour des problèmes liés à l’établissement d’enseignement et à la rémunération –, tous nos fournisseurs de soins nous ont quittés.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Sur le plan du bien-être, Christie, comment comparez-vous votre situation actuelle à l’époque où vous travailliez avec d’autres professionnels?

D^re Christie Newton : Shawna et vous l’avez mentionné : c’est une détresse morale. C’est le désir de passer du temps avec les patients et de leur offrir l’expertise d’une équipe, sans en être capable. Comme je l’ai dit, chaque fois qu’un patient quitte mon bureau, je suis consciente qu’il reste des choses à faire pour lui, que je devrai fixer un autre rendez-vous pour le suivi, ou le diriger vers quelqu’un de l’équipe externe en espérant qu’il y aura un suivi, qu’il sera pris en charge et que je serai tenue au courant de son dossier.

D^re Christie Newton : C’est une source d’anxiété. De plus, nous n’avons pas encore parlé du fardeau administratif et des tâches liées à la communication, lesquels représentent un véritable défi. Grâce au réseau de soins primaires, j’ai maintenant accès à une équipe actuellement déployée en Colombie-Britannique, mais je dois tout de même remplir les demandes de consultation de spécialistes. Celles-ci doivent être transmises à un intervenant externe, qui les évalue et m’avise de l’admissibilité du patient et du moment du rendez-vous. Puis il y a la consultation, et l’information me revient.

D^re Christie Newton : Ce processus contient des étapes pour lesquelles je ne suis pas rémunérée et qui prennent du temps. Les formulaires à remplir et la réception et l’examen des consultations empiètent sur le temps que je passe avec les patients. C’est donc là un autre défi. Notre but est de voir le plus grand nombre de patients possible, parce que nous savons qu’ils en ont besoin. Il y a tellement de gens qui n’ont pas de médecin de famille, alors nous faisons de notre mieux pour les prendre en charge et les rencontrer.

D^re Christie Newton : Seulement, après la journée, il reste encore une ou deux heures de tâches administratives à faire. Pour éviter l’épuisement professionnel, on doit donc diminuer le nombre de patients, bien que le système de rémunération ne soit pas conçu en ce sens. Lorsqu’on est rémunéré à l’acte, il faut voir un maximum de patients pour pouvoir couvrir les frais généraux, le salaire du personnel et les dépenses pour les dossiers médicaux électroniques, les outils technologiques et tout ce qui compose son cabinet.

D^re Christie Newton : Au bout du compte, on consacre deux heures de plus aux tâches administratives après une journée entière à rencontrer des patients. Ça empiète sur le temps passé en famille, et on se sent alors coupable. Beaucoup de choses ont changé depuis que je n’ai plus d’équipe, car avant, les tâches administratives étaient un peu mieux réparties entre nous. Je termine la journée anxieuse, fatiguée et inquiète pour beaucoup de mes patients, sans compter que j’ai encore du travail à faire.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Shawna, vous étiez d’abord un peu inquiète de vous joindre à une équipe de soins familiaux. Qu’en est-il maintenant, par rapport à vos premières appréhensions?

Shawna Pasiciel : Lorsque j’ai délaissé les soins de courte durée, mon inquiétude était plutôt liée à la formation. Mais on apprend un tas de choses quand on doit gérer 1 200 patients avec toutes sortes de maladies chroniques. Ça va bien au-delà des médicaments, des tâches administratives et des conseils. Tous les deux mois, le réseau de soins primaire présente des ateliers sur différents sujets – dont le tout dernier donné par l’Américaine Barb Bancroft, qui portait sur les maladies infectieuses. Il y a aussi Medscape et UpToDate, des sources d’information qui nous aident à faire des recommandations judicieuses au médecin sur la prise en charge de chaque patient.

Shawna Pasiciel : En ce moment, j’ai l’impression d’exploiter mes compétences au maximum comparativement à mon travail dans les soins de courte durée. Par exemple, je peux conseiller un patient à propos de sa dépression, ajuster une médication pour une insuffisance cardiaque avec le médecin, ou encore gérer la paracentèse d’un patient atteint de cirrhose. Tout cela se fait sous l’égide du médecin, avec qui je collabore très étroitement. Il m’encourage beaucoup à lui proposer une solution ou une marche à suivre avec le patient, et nous en discutons.

Shawna Pasiciel : Parfois il modifie ma proposition, parfois non. Ça a fait beaucoup de choses à assimiler, mais j’adore apprendre. J’aime le fait de m’appuyer sur les dernières directives et d’utiliser les algorithmes – ce qui n’est peut-être pas le cas pour toutes les infirmières et tous les médecins –, car je trouve qu’ils aident à clarifier les choses. J’aime aussi cette collaboration très étroite au sein de la clinique.

Shawna Pasiciel : Il arrive que le médecin manque de temps pour s’occuper d’un patient, parce que ce dernier a besoin de plus de soins ou d’une demande de consultation, ou parce qu’il a une nouvelle plaie, ou un nouveau diagnostic de diabète et le médecin ne veut pas simplement le laisser avec son ordonnance d’insuline. Il peut alors venir me voir pour que je prenne le relais et accompagne le patient.

Shawna Pasiciel : Je ne pourrai pas toujours passer une heure avec lui, mais ça permet de mettre un visage sur son nom, de discuter avec lui quelques minutes le temps de prendre un rendez-vous pour le lendemain et de lui faire savoir que nous nous occupons de lui.

Shawna Pasiciel : J’aime aussi faire le suivi et le fait de terminer mon quart de travail en sachant ce qui va arriver au patient ou à la patiente. Il y a beaucoup de rappels et de tâches de suivi, et c’est rare qu’une personne me quitte sans prendre un autre rendez-vous. Si elle refuse, je me programme un rappel dans trois mois pour faire un suivi de dossier au téléphone et prendre de ses nouvelles.

Shawna Pasiciel : Pendant la COVID, j’ai fait beaucoup plus de ce genre d’appel avec nos patients et patientes les plus vulnérables. Je prévoyais des appels de suivi chaque mois pour savoir comment ils allaient. Souvent ils n’avaient besoin de rien, mais se sentaient sécurisés en sachant que quelqu’un prenait des nouvelles. J’ai aussi une ligne directe au cabinet. Si un patient est en crise ou a besoin de nous parler à tout moment, il peut m’appeler directement pour que je l’aide avec son renouvellement d’ordonnance, par exemple, ou que je demande des analyses de sang s’il présente des symptômes.

Shawna Pasiciel : Le médecin et moi avons établi des protocoles concernant les analyses sanguines que je peux demander – RIN, test pour le diabète, etc. – sans avoir à toujours consulter le médecin. C’est sa façon de fonctionner par défaut. Si j’ai beaucoup de rendez-vous par téléphone, je n’ai pas à le déranger entre chacun; nous faisons des conférences d’équipe en milieu et en fin de journée, où je fais le point sur chaque patient et ceux que je dois rappeler s’il y a un changement d’ordonnance ou autre chose.

Shawna Pasiciel : Ça évite des déplacements, surtout pour la patientèle. Je trouve que les dossiers de maladies chroniques les plus difficiles à gérer sont ceux des personnes qui travaillent encore et qui ne veulent pas prendre congé pour venir au cabinet. Si elles peuvent faire faire leurs analyses de sang ou surveiller leur tension artérielle à la maison, puis m’appeler pendant leur période de dîner pour que nous regardions les résultats, nous leur offrons ainsi de bien meilleurs soins.

Shawna Pasiciel : C’est seulement avec la COVID que nous avons été obligés de composer avec ce genre de consultation virtuelle. Je trouve aussi que les patients plus jeunes ont davantage tendance à mieux s’occuper de leur maladie que les autres.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : C’est bien de vous entendre parler de votre travail, qui semble très satisfaisant et valorisant pour vous.

Shawna Pasiciel : Oui, c’est le cas.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : C’est inspirant.

Shawna Pasiciel : Il arrive parfois qu’un patient en crise appelle. Si je vois que le médecin a un renouvellement d’ordonnance pour un de mes patients diabétiques à 10 h, je peux m’occuper de ce dernier et prévoir un rendez-vous pour le patient en crise à 10 h; ainsi, nous rencontrons tout le monde rapidement. Le médecin et moi cherchons beaucoup à éviter les consultations sans rendez-vous, les admissions et les visites urgentes. C’est pourquoi nous faisons tout notre possible pour voir les patients en cabinet ou leur parler téléphone.

D^re Christie Newton : Ce côté proactif est un aspect qui ressort de la prestation de soins en équipe, et qui me manque. Vous avez parlé de suivis de dossiers au début de la pandémie, et c’est ce que nous avons fait aussi. Dans ma clinique, nous avions la chance d’avoir des médecins résidents et des apprenants en médecine, alors nous avons pu déléguer dans une certaine mesure cette tâche à certains médecins résidents. Cependant, le suivi des problèmes de santé de notre patientèle a fini par nous occuper beaucoup, alors cette composante proactive a été la première à être abandonnée.

D^re Christie Newton : Il y avait des listes de patientes et patients atteints de maladies chroniques, et des listes de patients âgés vulnérables. Au départ, nous faisions un suivi proactif aux trois mois, mais avons dû très tôt laisser ces démarches de côté. Malgré l’utilisation de rappels automatiques, nous n’avions tout simplement pas d’espace parmi tous les rendez-vous quotidiens pour faire ce suivi.

D^re Christie Newton : Je pense que beaucoup de patients âgés vulnérables et ayant des problèmes multiples en ont ressenti les effets : ils se sont sentis moins en sécurité, alors qu’ils étaient isolés durant des mois dans leur maison, sans savoir si quelqu’un était au courant de leur état. Par ailleurs, ils voyaient probablement aux nouvelles que les travailleurs de la santé étaient surchargés et épuisés, et n’ont pas voulu nous déranger. Sur de nombreux aspects, les limites de l’acceptable ont été dépassées. Il y a eu beaucoup de problèmes, et des patients en ont souffert.

D^re Christie Newton : Pour une équipe, cette capacité d’action proactive – voire d’intervention psychosociale –, qui lui permet d’entrer en contact avec une personne isolée, est très bénéfique. Lorsqu’un des membres est en mesure de faire cette démarche, c’est très positif. Ça me manque. Je me rappelle que nous avions cette capacité, et que nous le faisions bien.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : On sait tous que lorsqu’on diminue la prévention, cela entraîne des conséquences à plus long terme pour la santé de la patientèle, mais aussi, bien sûr, pour le système de santé. Le Canada fait face à une pénurie de professionnels de la santé, tant en soins infirmiers qu’en médecine familiale. Shawna, en quoi le modèle de soins en équipe peut-il aider à renverser la tendance?

Shawna Pasiciel : Le travail d’équipe me fait me sentir valorisée. Je sens que l’équipe est là pour moi au même titre que je le suis pour le médecin. S’il prend de mes nouvelles et sait comment se passent les choses pour moi, ça m’indique que je peux aller le consulter si j’ai de la difficulté avec un patient, ou si un patient stable vient pour un suivi. Je n’ai pas à me faire du souci lorsque j’appelle le médecin de garde ni à m’inquiéter de devoir terminer mon quart de travail sur les chapeaux de roues et choisir entre mes tournées à ma patientèle ou la consignation des données au DME.

Shawna Pasiciel : Je trouve que le DME prenait énormément de mon temps quand j’étais infirmière aux soins de courte durée, et que c’était inefficace. J’ai travaillé longtemps dans le domaine, puis j’ai pris un congé de maternité de quelques années. À mon retour, il y avait ces ordinateurs géants sur lesquels il fallait passer des heures à consigner l’information sur des soins qu’on aurait bien aimé pouvoir donner correctement. Mais on nous a plutôt encouragés à traîner un ordinateur sur chariot jusque dans la chambre des patients pour y entrer l’information. Je n’étais pas à l’aise avec ça, car en fait je ne passais pas de temps avec le patient; je me concentrais sur l’ordinateur.

Shawna Pasiciel : En tant qu’infirmière en soins primaires, je termine ma journée en sachant que tout le monde a été pris en charge correctement. Beaucoup d’études actuelles se penchent sur l’épuisement professionnel en lien avec les soins à la patientèle plutôt qu’avec les heures travaillées. Votre quart de travail est toujours de huit heures. Si vous passez ces huit heures avec le sentiment de faire de l’excellent travail, de vous accomplir et de vous sentir apprécié, c’est beaucoup plus important que les primes qu’on veut nous donner.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Christie, vous essayez de rebâtir votre équipe interprofessionnelle. Où en êtes-vous?

D^re Christie Newton : Ça avance. Comme je l’ai dit, j’ai un poste d’infirmière ou d’infirmier à pourvoir en médecine familiale communautaire, mais je n’en ai pas encore trouvé la personne qui voudrait se joindre à notre équipe. Vous l’avez mentionné, on est confronté à une pénurie d’infirmières et de médecins de famille, c’est le moins qu’on puisse dire. C’est difficile de reconstruire son équipe quand les professionnels ne sont pas intéressés par les soins communautaires à cause du manque de soutien et d’infrastructures.

D^re Christie Newton : Je crois qu’ils seraient plus intéressés et que j’arriverais à pourvoir ce poste d’infirmière ou d’infirmier si le système était mieux structuré. Nous avons abordé le fardeau administratif pour les professionnels et les questions de rémunération et de frais généraux. Ces dernières années, on a considérablement augmenté le nombre de places pour les résidents en médecine familiale. Toutefois, ils sont un peu plus de 40 % à éviter la médecine familiale en milieu communautaire. Ils se dirigent plutôt, par exemple, vers la médecine d’urgence, les soins obstétricaux ou la médecine hospitalière, où il existe une infrastructure de soutien qui leur permet de prodiguer les soins pour lesquels ils ont été formés, sans avoir à se préoccuper de l’inventaire de leur cabinet, de l’embauche et de la rémunération du personnel et du recrutement d’une patientèle assez importante pour couvrir ces coûts.

D^re Christie Newton :Sans compter le fardeau administratif, dont une partie importante est prise en charge dans les domaines où vont travailler les nouveaux diplômés. Il faudrait donc améliorer le système. Nous sommes sur la bonne voie en Colombie-Britannique, mais c’est très lent, et il faudrait accélérer les choses. Le soutien aux soins communautaires en équipe doit être une priorité.

D^re Christie Newton : Je suis heureuse de pouvoir au moins compter sur une équipe externe de fournisseurs de soins, avec qui j’arriverai probablement à communiquer plus efficacement avec le temps. Pour l’instant, c’est encore un peu difficile ici en Colombie-Britannique. Tout cela devrait vraiment contribuer à attirer davantage d’étudiants en médecine et de diplômés vers la formation en résidence – et il faut faire la même chose pour les résidents. Nous devons leur offrir de bons environnements d’apprentissage, et pour ce faire, nous devons nous sentir soutenus. Il faut donc un changement à l’échelle du système, mais aussi en ce qui concerne l’équipe. J’aimerais bien déménager à Medicine Hat dès aujourd’hui pour me joindre à ce qui semble être une équipe très efficace.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Merci à vous deux pour cet entretien.

Shawna Pasiciel : Merci.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Pensons santé est produit par Podcraft Productions. Pour obtenir des ressources, des outils et des études en lien avec les sujets abordés aujourd’hui, rendez-vous sur le Carrefour AMC du bien-être des médecins sur le site amc.ca.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Par ailleurs, nous aimerions connaître votre opinion sur notre balado. N’hésitez pas à laisser une évaluation ou un commentaire sur votre plateforme d’écoute préférée. Merci aussi de parler de notre programme, c’est le meilleur moyen de le faire connaître. Je suis la D^re Caroline Gérin-Lajoie. Merci à toutes et à tous pour votre attention!