Association médicale canadienne

Au Canada, les postes vacants atteignent un niveau record dans le secteur des soins de santé, ce qui fait que beaucoup de patients et patientes de partout au pays n’arrivent pas à obtenir les soins dont ils ont besoin. Cette situation met une pression insoutenable sur les épaules des travailleurs et travailleuses de la santé, déjà épuisés et démoralisés.

« Le personnel de la santé est toujours aussi passionné, mais il est clair que la passion à elle seule ne peut pas tout régler », a fait observer le Dr Alika Lafontaine, président de l’AMC, dans son mot d’ouverture de la troisième séance de l’AMC sur les choix audacieux pour les soins de santé, le 22 février.

Alors, comment recruter, former et maintenir en poste plus de médecins, d’infirmières et d’infirmiers d’autres travailleurs et travailleuses de la santé alors que le secteur est en crise?

Pour répondre à cette question, le Dr Lafontaine a discuté avec la Dre Marcia Anderson, défenseure de la santé des Autochtones, Mme Sara Fung, infirmière autorisée et animatrice d’un balado, la Dre Sarah Hanafi, médecin résidente, et le Dr Kevin Smith, qui supervise certains des plus grands hôpitaux du pays à titre de président et chef de la direction du Réseau universitaire de santé.

Voici quelques-unes des solutions clés qui ont été abordées :

Alléger le fardeau administratif lié aux soins

« Il ne s’agit pas nécessairement d’injecter plus de fonds. Il s’agit d’utiliser les ressources intelligemment. Il ne faut pas nécessairement augmenter les coûts pour améliorer la qualité des soins. » – Sara Fung

Certes, une augmentation du financement et du nombre de places dans les facultés de médecine aura pour résultat d’élargir le bassin d’effectifs de la santé de demain, mais il faut également des solutions pour atténuer la pression exercée sur les effectifs de la santé d’aujourd’hui. Par exemple, on entend souvent dire qu’il faut réduire les tâches administratives inutiles. Comme l’explique la Dre Hanafi, « pour chaque personne hospitalisée, je dois ouvrir cinq ou six applications cliniques différentes pour un seul rendez-vous ».

Selon le Dr Smith, il serait plus avisé de n’avoir à remplir certains documents que dans des situations exceptionnelles : « Disons que la plupart de vos patients et patientes en sont à l’étape des soins postopératoires et nécessitent une ou deux visites à domicile. Si tout va bien, pourquoi perdre du temps dans la paperasse? C’est quand ça ne va pas bien qu’on veut plus de détails. Sinon, quelques cases à cocher suffisent. »

Renforcer les soins primaires

« Nous devons réfléchir à une façon de structurer les services de l’ensemble du système en fonction des besoins des fournisseurs de soins primaires, des patients et des patientes. » – Dr Kevin Smith

Selon un sondage publié par Angus Reid en 2022, au Canada, près d’une personne sur cinq n’a pas accès à un ou une médecin de famille. Sans un accès fiable aux soins primaires, le système de soins de courte durée subit une pression accrue puisque les gens se tournent vers les cliniques de soins d’urgence ou les services d’urgence en milieu hospitalier pour obtenir des soins médicaux.

Pour changer la donne, il faut plus de médecins de famille – on doit donc en faire davantage pour attirer les apprenants et apprenantes en médecine vers les soins primaires. « Nous sommes toujours à la traîne en matière d’équité salariale pour les médecins de famille », se désole la Dre Hanafi. Leur salaire doit aussi tenir compte de leur rôle fondamental et de la hausse de la complexité des soins qu’ils doivent prodiguer.

Mme Fung abonde dans le même sens : « Notre système de santé est très centré sur les soins en milieu hospitalier », ce qui fait qu’il est généralement plus payant de travailler dans ce milieu. Si nous voulons que les professionnels et professionnelles de la santé prennent en charge les soins primaires, qu’ils élargissent au maximum leur champ d’exercice en travaillant en équipe ou qu’ils voient les patients et patientes dans différents milieux, nous devons montrer que nous reconnaissons leur valeur.

Soutenir la santé mentale des effectifs de la santé

« Nous devons accorder une plus grande importance aux services de soutien en santé mentale. Les problèmes de santé mentale sont encore extrêmement stigmatisés dans les soins de santé, surtout parmi les prestataires de soins. » – Sara Fung 

Le Sondage national de l’AMC sur la santé des médecins de 2021 a mis au jour la détresse que vivent les membres de la profession. En effet, six personnes répondantes sur dix disent que leur santé mentale se détériore et huit sur dix, qu’elles ont été victimes d’intimidation, de harcèlement ou de microagressions en milieu de travail. 

Et pourtant, comme le souligne Mme Fung, les travailleurs et travailleuses de la santé « ne bénéficient pas d’un réel soutien lorsqu’ils sont confrontés à des situations difficiles ». 

Le simple fait de se sentir incapable d’améliorer une culture de travail malsaine – et encore moins un système défaillant – est en soi un risque pour les professionnels et professionnelles de la santé. « Quand nous sommes exposés à des situations stressantes et que soit nous ne pouvons pas les prévenir, soit nous les perpétuons ou lorsque nous assistons à des événements qui vont réellement à l’encontre de nos valeurs et de nos convictions, il peut en résulter une grande détresse morale », explique la Dre Hanafi.

Par surcroît, les expériences négatives parmi les effectifs de la santé entraînent généralement de mauvaises expériences pour la patientèle. « Si nous ne traitons pas nos collègues avec respect et qu’ils subissent des microagressions racistes de notre part, ce sera aussi le cas pour nos patients et patientes. C’est ainsi que fonctionnent les relations de pouvoir », expose la Dre Anderson. 

Les données montrent que tout le monde bénéficierait d’une amélioration de la culture dans le secteur de la santé.

Aider les travailleurs et travailleuses de la santé à promouvoir le changement 

« Il est extrêmement important que tous les professionnels et toutes les professionnelles de la santé se sentent en sécurité et qu’il leur soit possible de transmettre leurs points de vue professionnels et factuels en toute sécurité concernant d’importantes décisions politiques. » – Dre Marcia Anderson 

Les personnes qui constituent notre système de santé doivent avoir les moyens de participer à sa transformation. « À l’heure actuelle, nous accordons beaucoup d’importance à la formation sur la représentation, l’équité et la justice, mais malheureusement, nos cultures institutionnelles ne s’attachent pas vraiment à ces questions », constate la Dre Hanafi.

« En tant qu’infirmière, ajoute Mme Fung, on m’a enseigné à soigner et à défendre les patients et patientes, et seulement les patients et patientes. Je n’avais pas compris que je pouvais aussi défendre mes propres intérêts ou ceux de ma profession, voire ceux du système de santé en général. »

Selon la Dre Anderson, la représentation est aussi importante à l’extérieur des milieux de soins de santé qu’au sein de ces milieux. « Nous avons tous et toutes un rôle à jouer dans la démocratie. Nous devons prêter attention aux gouvernements élus, aux types de décisions qu’ils prennent ainsi qu’à leur niveau de responsabilisation et de transparence en ce qui a trait au financement du système de santé, aux investissements qui sont réalisés et aux résultats qui en découlent pour la population. »

Les défis du système de santé et des effectifs de la santé sont complexes. Mais comme le soulignent les panélistes, nous sommes à un tournant décisif. La pandémie nous a clairement fait comprendre que les soins de santé nous touchent tous et toutes. « Nous avons le sentiment de vivre cette situation ensemble, souligne la Dre Anderson, ce qui suscite un intérêt national pour la question. »

« Nous devons vraiment considérer la crise actuelle comme une situation tout aussi urgente [que la pandémie] afin d’avoir le courage de prendre des mesures concrètes. » – Dre Sarah Hanafi

Le Dr Smith aborde les choses de la même manière : « Nous voyons les problèmes plus clairement que jamais, et pour moi, c’est vraiment positif. Je ne pense pas qu’il existe de solutions faciles. Mais je pense aussi qu’auparavant, nous n’aurions pas réellement recherché ces solutions et nous n’aurions pas eu le courage d’admettre qu’il y a des problèmes. »

Pour visionner la séance complète :

Vous avez manqué nos précédentes séances de la série Choix audacieux sur le financement des soins de santé et les modèles de prestation des soins? Vous trouverez les faits saillants ici.

« Nous savons qu’il reste encore beaucoup d’autres points à aborder. Ce n’est que le début de la conversation. » – Dr Alika Lafontaine

Joignez-vous à nous en août pour notre sommet annuel sur la santé afin de poursuivre ces discussions importantes sur l’avenir des soins de santé.
 


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