Association médicale canadienne

Toute personne a un droit fondamental à la santé, à la sécurité personnelle et au contrôle de son propre corps. Cela s’applique notamment à toute personne pouvant tomber enceinte.

C’est pourquoi l’Organisation mondiale de la Santé précise dans ses lignes directrices officielles que « [l]e manque d’accès à des soins d’avortement sécurisés, abordables, respectueux de la personne et dispensés en temps voulu représente un risque non seulement pour le bien-être physique, mais aussi mental et social, des femmes et des filles ».

De récents événements aux États-Unis ont relancé le débat sur l’avortement au Canada. Les circonstances dans chaque pays diffèrent toutefois énormément. Contrairement aux États-Unis, il n’y a pas de « loi sur l’avortement » au Canada (tout comme il n’y a pas de « loi sur le remplacement de la hanche »). L’avortement est un soin de santé. Cependant, l’histoire de l’avortement au Canada est complexe. Et bien que nous ne soyons pas confrontés à une décision de la Cour suprême aussi dévastatrice que le renversement de Roe v. Wade, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur nos propres lacunes.

En 1969, le gouvernement fédéral du premier ministre Pierre Trudeau a rendu l’avortement légal au Canada, mais seulement dans certaines circonstances. Un comité de médecins devait décider si la poursuite d’une grossesse mettrait assurément ou probablement en danger la vie ou la santé de la personne enceinte. Dans sa décision de 1988 dans l’affaire R. c. Morgentaler, la Cour suprême du Canada a statué que cette loi sur l’avortement était inconstitutionnelle parce qu’elle contrevenait à l’article 7 de la relativement nouvelle Charte canadienne des droits et libertés (adoptée en 1982) : le droit de chacune et chacun « à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». Pourtant, en 1990, le gouvernement fédéral du premier ministre Brian Mulroney a présenté un projet de loi qui aurait rendu les médecins pratiquant un avortement alors que la santé de la personne enceinte n’était pas en danger passibles d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans. Le projet de loi a été adopté à la Chambre des communes, mais est mort au Sénat avec une égalité des voix. Le Canada est donc passé à une voix de criminaliser l’avortement.

Même si le gouvernement fédéral a fini en 1995 par juger que les services d’avortement étaient, en vertu de la Loi canadienne sur la santé, médicalement nécessaires, l’accès à l’avortement au Canada n’est toujours ni équitable ni universel.

Par exemple, le gouvernement du Nouveau-Brunswick ne prend pas en charge les services d’avortement chirurgical en dehors du milieu hospitalier. Les personnes qui ne peuvent avoir accès à des services d’avortement dans un hôpital doivent donc supporter les coûts d’un avortement chirurgical dans une clinique privée. L’accès dépend également de l’endroit où l’on vit, car seulement trois des plus de vingt hôpitaux de la province offrent des services d’avortement.

Dans certaines provinces, dont l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba et l’Ontario, les services d’avortement ne sont offerts que dans les centres urbains, même si de 35 à 40 % de la population vit dans des communautés rurales ou éloignées. Partout au Canada, les Autochtones qui recherchent des services d’avortement se heurtent à des obstacles particulièrement importants en raison du racisme systémique et du manque d’accès aux services dans leurs communautés. La personne ayant difficilement accès à des services d’avortement près de chez elle doit se rendre dans une autre ville et ainsi s’absenter de son travail et assumer les frais de déplacement, et éventuellement de garde d’enfants, ce qui pose des problèmes d’équité considérables. Si elle a besoin de temps pour recueillir l’argent requis, elle pourrait finir par dépasser la durée limite pour obtenir un avortement dans sa province, alourdissant d’autant plus son fardeau financier.

En 2015, Santé Canada a approuvé le Mifegymiso au terme du plus long processus d’homologation d’un médicament de l’histoire du pays. En 2017, le ministère a élargi la liste des professionnelles et professionnels de la santé pouvant prescrire et délivrer cette « pilule abortive », ajoutant aux médecins les pharmaciennes et pharmaciens, le personnel infirmier praticien et les sages-femmes et sages-hommes. Les fournisseurs de soins primaires offrent de plus en plus des services d’avortement médical, un aspect essentiel de l’amélioration de l’accès qui devrait être encore plus vaste.

Comment protéger et maintenir l’avortement au Canada? Pour assurer un accès universel et complet à l’avortement aux quatre coins du pays, les gouvernements provinciaux et territoriaux doivent respecter à la lettre la Loi canadienne sur la santé et le gouvernement fédéral, rendre des comptes et veiller à l’application de la Loi. De plus, l’augmentation du financement des services de santé sexuelle et reproductive – ce qui comprend le financement permanent du nouveau Fonds pour la santé sexuelle et reproductive de Santé Canada – améliorerait l’accès à l’avortement, en particulier pour les personnes qui sont confrontées aux plus grands obstacles. L’intégration accrue de l’éducation sexuelle, de la contraception et de l’avortement aux programmes de formation des professionnelles et professionnels de la santé est aussi indispensable.

Les décisions en matière de santé sont prises par les patientes et patients et leurs équipes soignantes, et cela doit demeurer ainsi. Le rôle du gouvernement consiste à assurer aux citoyennes et citoyens un accès équitable aux soins de santé. Le fait est que nous avons encore beaucoup de travail à faire au Canada.

Par la Dre Katharine Smart, présidente de l’Association médicale canadienne, la Dre Gigi Osler, présidente de la Fédération des femmes médecins du Canada et la Dre Deidre Young, présidente de Canadian Women in Medicine.

Cette lettre ouverte a initialement été publiée dans le Globe & Mail


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