Association médicale canadienne

Depuis des décennies, le triangle à « triple contrainte » est familier à quiconque gère un projet. Selon cette théorie, les produits et les entreprises évoluent différemment selon ce que l’on juge comme étant le plus important, et la façon dont on équilibre trois éléments : la qualité, la rapidité et le coût. Vous voulez de la qualité et de la rapidité? Le coût sera élevé. Vous voulez de la rapidité à faible coût? La qualité en pâtira. Vous voulez de la qualité à faible coût? Tout sera plus long.

Pourtant, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux promettent depuis longtemps un futur système de santé idéalisé qui dément cette théorie : un service de qualité, accessible et rentable. Même pour les équipes les plus efficaces, talentueuses et compétentes de toute industrie, c’est pratiquement impossible à faire dans le monde réel. Pourtant, nous entretenons toujours cette illusion partagée qu’il est possible d’atteindre ces trois objectifs dans le domaine de la santé, car nous suivons toujours la même voie, sans dévier.

Ça ne veut pas dire que nous ne pouvons pas avoir le système de santé que nous voulons. Il suffit de viser ce qui est nécessaire, et non pas ce qui est idéal. Nous devrions être fiers que nos treize systèmes de santé provinciaux et territoriaux aient survécu au test de stress provoqué par les vagues successives de la COVID-19, mais nous devons aussi reconnaître que ces systèmes sont en train de s’effondrer sous le poids du retard dans les services, des fournisseurs de soins souffrant d’un épuisement professionnel atteignant des niveaux épidémiques et des ressources humaines de la santé en nombre insuffisant, tout cela dans le cadre d’un modèle de prestation de soins obsolète.

Nous n’avons pas à regarder très loin pour en être convaincus. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Canada a alloué 12,9 pour cent de son produit intérieur brut (PIB) aux soins de santé en 2020, juste derrière les États-Unis, comparativement à une moyenne de 9,7 pour cent pour les pays de l’OCDE. Pourtant, nous accusons du retard en ce qui a trait à la disponibilité et à la rapidité des soins, qui sont inférieures à la moyenne de l’OCDE. Le résultat de ce statu quo? Il suffit d’aller dans n’importe quel hôpital ou d’essayer d’obtenir un rendez-vous avec un fournisseur de soins primaires. Les longues files d’attente, les temps d’attente sans précédent et les cadres de travail insoutenables sont désormais des conditions que nous acceptons comme étant normales.

Des décennies de compromis arrivent à leur fin, et il est évident que les anciennes priorités des gouvernements ne nous mèneront pas vers un avenir meilleur. La volonté constante et de longue date de maintenir de faibles coûts, combinée à un système qui résiste au changement et qui ne s’est pas réellement adapté à l’évolution des besoins de la population canadienne en matière de soins depuis la mise en place du régime d’assurance maladie dans les années 1960, nous mène au bord du précipice. Au lieu d’améliorer les soins, nous nous concentrons sur l’innovation pour réduire les coûts. Nous arrivons à un seuil où il n’y a plus rien à donner, et où il n’y a plus personne pour améliorer la capacité. Conclusion : les effectifs de la santé et les patients sont abandonnés à leur sort, sans le leadership nécessaire pour prendre les décisions difficiles qui s’imposent.

Cependant, il existe une immense possibilité pour les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral si nous mettons nos similarités à profit. Ensemble, nous pouvons bâtir – pour la première fois depuis l’arrivée de l’assurance maladie – un système de santé intégré, coordonné et collaboratif. Un permis d’exercice national pourrait simplifier l’inscription au registre d’immatriculation des fournisseurs de soins formés au Canada et à l’étranger, dont la mobilité permettrait de répondre au besoin criant de ressources humaines de la santé. Une collaboration nationale en matière de soins virtuels pourrait démocratiser l’accès et assurer un accès pratique et approprié aux soins en personne. Un plan national de ressources humaines de la santé pourrait tirer parti de la capacité de formation existante pour répondre aux besoins régionaux, aujourd’hui et à l’avenir.

L’Association médicale canadienne a récemment présenté une analyse des dépenses en matière de santé, et de la collaboration requise entre les différents ordres de gouvernement, ce qui semble être la pierre d’achoppement en ce moment. En examinant les budgets alloués à la santé par les gouvernements provinciaux et territoriaux, j’ai relevé deux points intéressants. Le premier est que même si nos treize systèmes provinciaux et territoriaux cloisonnés font face à des défis propres à chacun, il y a des points communs dans leurs priorités de financement, notamment pour les soins en matière de santé mentale, de soins aux personnes âgées et de réduction des retards en chirurgie. Le deuxième – étroitement lié à la première observation – est que malgré le principe selon lequel les priorités fédérales n’influencent pas et ne devraient pas influencer les priorités des systèmes de santé provinciaux et territoriaux, les anciennes priorités fédérales ont été prémonitoires. Les gouvernements fédéraux précédents parlaient des problèmes émergents qui sont les crises que nous vivons aujourd’hui.

Nous n’avons pas les systèmes de santé auxquels nous aspirons, nous avons les systèmes que nous concevons. Le manque de leadership, d’investissements et d’idées nouvelles fait en sorte que nous avons bâti des systèmes fragmentés où la prise de décisions en vase clos entraîne des redondances, de piètres résultats et une expérience déplaisante pour les fournisseurs de soins et les patients. La voie à suivre consiste à répondre aux problèmes fondamentaux et à traiter la qualité – de l’expérience, de la communication et de la collaboration – en priorité.

Le leadership est une question de choix. Et il est temps que les personnes qui détiennent le pouvoir – tous les ordres de gouvernement – choisissent cette voie que nous n’avons toujours pas empruntée. La population canadienne est prête pour un système de santé vraiment intégré, coordonné et collaboratif.

Le Dr Alika Lafontaine est le président de l’Association médicale canadienne.

Cette lettre d’opinion a été publiée en anglais dans le Globe & Mail le vendredi 14 octobre 2022.
 


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