Association médicale canadienne

Dr. Ogunyemi with a green background

Le Dr Bolu Ogunyemi a été le premier étudiant noir de Terre-Neuve-et-Labrador à fréquenter l’Université Memorial de Terre-Neuve. Maintenant, il est à la tête d’un changement visant à rendre la médecine plus représentative de la diversité des populations du Canada et plus responsable à l’endroit de cette diversité. Nous l’avons interviewé en vue du Mois de l’histoire des Noirs.

Vous avez été le tout premier vice-doyen de la responsabilité sociale de l’Université Memorial de Terre-Neuve. Comment voyez-vous la responsabilité sociale?

Ça signifie que tous les aspects de la médecine – la recherche, la culture de travail, la formation, la pratique clinique – doivent refléter les personnes soignées dans toute leur diversité, et tout particulièrement les communautés mal servies. Ça s’applique aussi à l’entrée dans le domaine, bien entendu. Beaucoup de facultés de médecine ont fait de la diversité une priorité. À Memorial, nous avons des programmes qui présentent les sciences de la santé, c’est-à-dire la médecine, les sciences infirmières et d’autres domaines connexes, aux jeunes des communautés autochtones et des milieux ruraux, et ce, tôt dans leur cheminement. J’ai donné certaines de ces conférences. Il est important pour les jeunes de se voir représentés dans les effectifs médicaux. Je suis immigrant; je connais bien certains des obstacles qui se dressent devant les étudiantes et étudiants en médecine au Canada, pour les avoir rencontrés moi-même, en tant que première personne noire du bassin de Terre-Neuve-et-Labrador à étudier à Memorial.

Qu’en est-il de la patientèle?

Un autre grand volet de la responsabilité, c’est d’aider les gens à obtenir des soins de santé en tenant compte de leur contexte culturel. Il peut s’agir de leur fournir des ressources et des traductions dans leur langue maternelle. Par exemple, étant donné le taux élevé de dermatite grave chez les Autochtones, nous sommes en train de traduire des documents d’information sur les affections cutanées en innu-aimun, la langue traditionnelle de la Première Nation innue de Terre-Neuve-et-Labrador.

Je suis aussi l’auteur principal d’un document stratégique de Médecins canadiens pour le régime public  qui porte sur le recours aux soins virtuels comme solution aux iniquités en santé pour la patientèle des milieux ruraux et éloignés.

Pourquoi la diversité dans la médecine compte-t-elle autant pour l’amélioration des résultats cliniques?

Chaque personne amène sa subjectivité et son point de vue dans la classe, l’enseignement, la pratique – et même dans le lieu où elle pratique. Il est prouvé que les médecins provenant de milieux mal servis sont plus susceptibles de travailler auprès d’autres gens issus de ces milieux. Si je fais du travail de sensibilisation dans des communautés autochtones, c’est en partie parce que je comprends le racisme dans les soins de santé et l’importance cruciale de la sensibilité culturelle.

Par exemple, bon nombre de manuels de dermatologie ont été écrits à une époque où il y avait très peu de diversité, alors l’information qu’on y trouve s’applique à une peau blanche. On enseigne aux médecins que la peau rougie est un signe d’inflammation; or les changements de couleur peuvent être très subtils chez une personne qui a une peau à la pigmentation riche, et cette personne sera quand même atteinte d’eczéma grave. Elle aura probablement des démangeaisons ou une peau anormalement chaude.

J’ai choisi la dermatologie parce que je voulais militer pour une formation plus représentative de toute la diversité des couleurs de peau et des types de cheveux présents parmi les différentes origines ethniques.

Vous avez récemment dénoncé le racisme dont a été victime un médecin égyptien dans une municipalité de Terre-Neuve, en faisant remarquer que ce type d’incident survient partout au pays. Qu’est-ce que la communauté médicale peut faire de plus pour mieux soutenir les médecins de couleur, surtout dans les milieux ruraux et éloignés?

Actuellement, en santé, nous avons besoin que tout le monde mette la main à la pâte, surtout dans les milieux ruraux et éloignés, où l’accès aux soins est le plus critique. Terre-Neuve-et-Labrador, la Saskatchewan et d’autres provinces comptent largement sur des médecins formés à l’étranger, dont beaucoup font partie d’une minorité dans les communautés qu’elles et ils servent. Il est important que ces personnes se sentent accueillies, qu’elles aient un sentiment d’appartenance à la communauté, qu’elles sachent qu’elles peuvent être elles-mêmes au travail. 

En tant que membres de la communauté médicale, nous pouvons améliorer les choses en nous assurant que les personnes qui exercent dans un nouvel environnement culturel ont des liens professionnels ou personnels avec d’autres qui comprennent leurs difficultés et peuvent les soutenir. Je fais partie de Black Physicians of Canada et de la Canadian Association of Nigerian Physicians and Dentists; au sein de ces groupes, j’ai aidé des gens à s’y retrouver dans le monde des études médicales et à pratiquer comme personnes immigrantes racisées.

Malgré tout, des données indiquent que les personnes issues de groupes sous-représentés sont moins susceptibles de trouver une ou un mentor souhaitant les prendre sous son aile. Je crois que nous devons nous montrer plus déterminés à favoriser l’inclusion.

Qu’en est-il d’aider les apprenantes et apprenants victimes de racisme ou d’autres formes de discrimination?

Il est de plus en plus reconnu que lorsqu’une ou un médecin ne va pas bien, elle ou il peine à s’occuper de sa patientèle. Et le bien-être, c’est aussi la sécurité culturelle. Cependant, bien des médecins ont été formés dans une culture où le message était : « Il faut une bonne carapace pour travailler dans notre système de santé. » Les médecins, y compris celles et ceux qui encadrent les apprenantes et apprenants, ne savent pas nécessairement gérer la discrimination ou les microagressions au travail. 

Afin de préparer les médecins à ces scénarios, j’ai créé des études de cas pour les modules sur le professionnalisme à l’intention du corps professoral de Memorial. L’une de ces études de cas s’inspirait d’une situation dont on m’a informé, où une personne racisée en résidence sous la tutelle d’un médecin blanc avait été victime de racisme de la part d’un patient, situation délicate à gérer pour le médecin superviseur. En tant que médecin et patron, il faut prendre soin non seulement de la patientèle, mais aussi de l’ensemble de l’équipe dont on a la charge.

Dans cette situation, il est important d’écouter attentivement la médecin résidente ou le médecin résident, de lui demander ce dont elle ou il a besoin dans l’immédiat et de lui donner un petit moment de répit s’il lui faut une pause. Dans certains cas, il se peut qu’une ou un autre médecin doive prendre sa place temporairement.

On voit une certaine pression pour une planification plus intégrée des ressources humaines de la santé à l’échelle nationale. Quelle est, ou quelle devrait être, la place de la diversité dans tout cela?

Voici un exemple qui montre à quel point la diversité peut s’avérer essentielle en matière de main-d’œuvre. En partie à cause du racisme de longue date dans les soins de santé, beaucoup de personnes noires en Ontario hésitaient à se faire vacciner contre la COVID-19; la pandémie les a donc frappées plus fort. Les prestataires de soins noirs ont compris qu’il fallait informer la communauté sur l’importance du vaccin dans des espaces respectueux de la culture. Ils ont alors créé une initiative de vaccination axée sur la santé des personnes noires, laquelle a entraîné une forte hausse de la vaccination et contribué à la prévention de la COVID-19 et de la COVID-19 de longue durée. 

Les groupes de direction bénéficient non seulement de la diversité des identités de leurs membres, mais aussi de la diversité des idées. Tout le monde a ses biais, mais en incluant des perspectives variées, y compris celles de groupes qui ont longtemps été exclus, on obtient des conversations plus riches et nuancées. C’était d’ailleurs le thème central d’une conférence TEDx que j’ai donnée il y a quelques années. C’est lorsqu’on donne intentionnellement la parole aux personnes sous-représentées que l’on trouve les meilleures solutions à chaque problème.

La transcription de l’entrevue a été retouchée pour plus de clarté.
 

 


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