Association médicale canadienne

Dr. Kathleen Ross


Plus les années passent et plus le fardeau administratif des médecins s’alourdit. Dans le contexte de la crise persistante dans le système des soins de santé, cette situation a des conséquences graves pour les médecins et le système de santé. Nous nous sommes entretenus avec la Dre Kathleen Ross, présidente de l’AMC (2023-2024) et médecin de famille en Colombie-Britannique, au sujet des raisons de l’accumulation de la paperasserie et des éventuels bienfaits pour la profession d’une solution à ce problème.

Pourquoi l’AMC réclame-t-elle une stratégie nationale d’allègement du fardeau administratif en médecine?

Lors d’un sondage de l’AMC réalisé auprès de milliers de médecins, 60 % des personnes répondantes ont indiqué que le fardeau administratif contribuait directement à l’épuisement professionnel et à la détérioration de la santé mentale, ainsi qu’à leurs conséquences, dont la réduction des heures de travail et, dans certains cas, l’abandon pur et simple de la profession ou la retraite anticipée.

Je peux vous dire, sur la base de mon expérience personnelle, que le fardeau administratif englobe divers aspects. C’est une succession de petites tâches qui viennent gruger le temps que nous passons avec les patients et patientes, et qui nuisent aux liens humains que nous voulons tisser en tant que prestataires de soins. Ce fardeau sape notre énergie et nous prive d’une partie de la joie d’exercer la médecine.

En quoi le fardeau administratif des médecins est-il différent de la paperasserie propre à d’autres professions?

Comme dans toute profession, certaines tâches administratives sont aussi nécessaires en médecine. Il faut noter ce qu’on fait, être en mesure de recueillir de l’information sur les examens qu’on demande ou les processus en cours, et intégrer les résultats aux dossiers et aux plans de soins des patients et patientes. Or, les médecins consacrent en moyenne plus de dix heures par semaine à des tâches administratives, souvent en dehors de leur journée de travail. Un trop grand nombre de ces tâches sont inefficaces et redondantes ou pourraient carrément être éliminées.

Avez-vous des exemples?

Les formulaires d’assurance relatifs à la réadaptation sont un bon exemple. On demande souvent aux médecins « jusqu’où la personne peut-elle porter un objet? », « combien de marches peut-elle monter? », « combien de fois peut-elle se pencher jusqu’au sol? ». Devrions-nous avoir à remplir ces formulaires? Pour bon nombre d’entre nous, la réponse est non.

Toutefois, en s’attaquant au fardeau administratif des médecins, il faut faire preuve d’une grande prudence et éviter de simplement transférer le travail à quelqu’un d’autre. Il faut analyser attentivement, par exemple, les formulaires d’assurance, les demandes de prestations d’invalidité et les notes médicales pour déterminer si le travail est réellement nécessaire.

Quelle est l’importance pour une employeuse ou un agent d’assurance de savoir jusqu’où la personne peut porter cinq kilos si elle-même estime pouvoir reprendre son travail de bureau? Quelles sont les choses que nous faisons en dehors de nos heures de travail habituelles et qui ne répondent pas aux besoins des patients et des patientes?

Les dossiers médicaux électroniques (DME) ont-ils permis d’alléger le fardeau administratif?

J’ai été parmi les premières personnes à adopter les DME. Je croyais qu’ils réduiraient considérablement notre charge de travail. Mais je pense que c’est le contraire qui s’est produit : notre fardeau s’est considérablement alourdi parce que l’information n’est pas condensée ou regroupée de manière appropriée. 

Par exemple, comme il était trop coûteux d’envoyer par la poste des résultats de laboratoire partiels, nous recevions et examinions une fois par jour une pile de résultats complets. Or, maintenant, je reçois quotidiennement cinq ou six fois les mêmes résultats par voie électronique, chacun s’affichant comme un document nouveau ou non consulté. Et pour chacun, je dois ouvrir le dossier du patient ou de la patiente pour voir si un ou une collègue a traité l’information. Le passage au numérique n’a vraiment rien simplifié du tout.

En parallèle, le manque d’interopérabilité entre les systèmes numériques fait en sorte que les médecins n’ont parfois pas accès à des informations importantes en dehors de leur bureau ou de leur autorité sanitaire.

Quel est le principal obstacle au changement?

Pour paraphraser Le Seigneur des anneaux : c’est le travail qui n’est jamais commencé qui prend le plus de temps à finir. Le fardeau administratif en médecine ne cesse de s’alourdir et, ce qu’il faut comprendre, c’est que cela touche tout le monde – les prestataires de soins et les patients et patientes. Ce problème doit faire l’objet d’un débat national si nous voulons que les choses bougent.

Si nous ne faisons rien, l’épuisement professionnel poursuivra ses ravages chez les médecins, surtout chez les prestataires de soins primaires, aux prises avec le fardeau administratif le plus lourd, et les gens continueront à s’éloigner de la médecine.

Quelle est l’approche de l’AMC pour résoudre le problème?

Les associations médicales provinciales et territoriales ont mené d’importantes réformes pour alléger le fardeau administratif. Nous travaillons avec elles, ainsi qu’avec d’autres partenaires dans tout le pays, afin de cibler les problèmes communs, d’en comprendre les causes profondes et, surtout, de développer des solutions. Nous plaidons également en faveur d’une rationalisation des formulaires nationaux et pressons Ottawa de rendre obligatoire l’interopérabilité des données sur la santé. Nous pouvons avoir un système de santé plus efficace et redonner aux médecins le temps de se concentrer sur les soins au lieu d’accomplir des tâches fastidieuses.

La transcription de l’entrevue a été retouchée pour plus de clarté.


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