Association médicale canadienne

Le Dr Alika Lafontaine est le président de l’Association médicale canadienne.

Nous entrons dans la période des fêtes, et les traditions familiales sont au cœur de nos activités. Avez-vous déjà entendu cette histoire – ou quelque chose de similaire? Une dinde de Noël, préparée selon une recette mémorable datant de trois générations, est coupée aux deux extrémités. Étonnés, les convives en demandent la raison à la mère. L’ignorant elle-même, elle propose d’en demander la raison à la grand-mère. « Je ne sais pas, répond celle-ci, mais vous pouvez le demander à votre arrière-grand-mère. » Le mystère demeure jusqu’à ce que l’on apprenne que la seule raison pour laquelle la dinde est coupée aux extrémités est qu’elle ne rentrait pas dans la casserole originale. C’est donc resté une tradition familiale sans que quiconque comprenne vraiment pourquoi on faisait ça.

Alors que nos 13 systèmes de santé s’effondrent à des rythmes différents partout au pays, je ne peux m’empêcher de penser aux dimensions étroites de la casserole dans laquelle notre système de santé mijote aujourd’hui. Quand l’Acte de l’Amérique du Nord britannique a été adopté en 1867, il était tout à fait sensé de partager les pouvoirs constitutionnels comme les soins de santé entre les ordres fédéral et provinciaux, pour adapter la confédération aux dimensions sociétales de l’époque. Ce raisonnement a été maintenu quand la Saskatchewan a créé l’assurance maladie en 1962 et quand le gouvernement fédéral a commencé à financer une partie du programme en 1968. Les dimensions de la casserole ont légèrement changé avec la Loi canadienne sur la santé de 1984, qui a ajouté certaines conditions au Transfert canadien en matière de santé.

Au fil du temps, nos 13 systèmes de santé provinciaux et territoriaux ont adopté de façon disparate des règlements, politiques, modes de fonctionnement et programmes. Au sein de ces systèmes, différentes nomenclatures, catégorisations et organisations ont été créées. En conséquence, nous composons maintenant avec des plans sur les ressources humaines de la santé qui diffèrent d’un endroit à l’autre, une fragmentation de l’accès aux soins, une segmentation des soins et une modernisation inégale. Les systèmes de santé des différentes provinces et différents territoires ont beaucoup de difficulté à fonctionner de concert de façon harmonieuse. Pour le grand nombre de personnes qui n’arrivent pas à trouver un médecin de famille, et celles qui attendent une bonne partie de la journée pour être évaluées dans un service des urgences ou qui meurent avant d’être soignées, la raison et la logique d’hier sont plutôt insensées aujourd’hui.

Facebook sait ce que je vais offrir à mon enfant de huit ans à Noël et Air Canada m’informe de l’heure d’embarquement pour mon vol, mais la patientèle n’a aucune idée de sa place dans nombre des listes d’attente sur lesquelles elle figure. Google regroupe la majeure partie de l’information mondiale, mais les provinces et les territoires n’ont toujours pas conçu – et partagé avec le gouvernement fédéral – un ensemble de données minimalement utiles. Nous utilisons toujours des télécopieurs pour partager l’information sur la patientèle. De nombreuses personnes n’ont toujours pas un accès aisé et exhaustif à leur dossier médical.

Quand nous constatons qu’il faut améliorer la collaboration et la coordination entre les différents ordres de gouvernement, nous nous appuyons sur une réflexion formulée pour la première fois en 1867. Les rédacteurs de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’envisageaient pas que le Canada se libérerait de la domination britannique, sans parler de créer des systèmes de santé publics qui serviraient 38 millions de personnes. On n’a jamais pensé que les données, si elles étaient partagées de manière délibérée et transparente, permettraient d’offrir des soins efficaces et de qualité. On n’a jamais pensé que la liberté de mouvement de la patientèle et des prestataires de soins de santé améliorerait l’accès aux soins. On n’y a jamais pensé parce qu’il n’y avait qu’une seule casserole dans laquelle devait mijoter la confédération. Il n’y avait pas d’autre choix que de couper les deux extrémités de cette dernière pour que tout rentre dans la première.

C’est le véritable défi des gouvernements alors que le système de santé s’effondre. Est-ce que nous allons remettre en question les raisons pour lesquelles nous agissons comme nous l’avons toujours fait, ou simplement nous reposer sur de vieilles idées recyclées servies comme restes idéologiques? Depuis vingt ans, la réduction et le transfert des coûts sont la norme pour répondre aux crises. On demande toujours aux prestataires de soins de santé de faire plus avec moins. Plus que jamais, la patientèle supporte une part du fardeau des soins de santé, que ce soit en passant moins de temps à l’hôpital ou en assumant une plus grande partie des coûts. Nous justifions l’inaction en nous accrochant aux compétences provinciales, territoriales ou fédérales.

Le Canada doit choisir une plus grande casserole. Nous pouvons élargir les dimensions de ce que le système de santé peut offrir avec un permis d’exercice pancanadien, un plan national sur les ressources humaines de la santé, un partage des données entre tous les ordres de gouvernement, une meilleure intégration des soins virtuels et en équipe, et une réduction du fardeau administratif supporté par les prestataires de soins de santé. Tous ces changements pris individuellement pourraient transformer le système de santé et chacun d’eux – en raison de la connectivité du système de santé – influence les autres. Cela nous permettra de transformer le système pour qu’il soit fonctionnel et unifié, adapté au Canada d’aujourd’hui.

Cette lettre d’opinion a été publiée dans le Globe & Mail le 21 décembre 2022.
 


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