Association médicale canadienne

La pression qui pèse sur les travailleuses et travailleurs de la santé a fait les manchettes pendant la pandémie. Mais cette pression était présente bien avant la COVID-19 et elle contribue encore aujourd’hui à miner le bien-être et la satisfaction au travail des effectifs de la santé, alors qu’une grave pénurie de main-d’œuvre sévit dans ce domaine au Canada.

Selon le dernier Sondage national sur la santé des médecins (SNSM), mené auprès de plus de 4 000 médecins et apprenantes et apprenants en médecine partout au pays, huit personnes répondantes sur dix ont été victimes d’intimidation ou de harcèlement dans leur lieu de travail; quatre sur dix l’ont été « fréquemment » ou « souvent ». Plus de la moitié des personnes répondantes (53 %) ont rapporté des symptômes d’épuisement professionnel. Quarante-huit pour cent ont obtenu un résultat positif au dépistage de la dépression. Il n’est donc pas surprenant que 51 % des médecins aient affirmé qu’ils sont susceptibles de réduire ou de modifier leurs heures de travail. Et évidemment, cette situation ne fait qu’accentuer la pression à laquelle sont soumis les effectifs de la santé.

Tant que les risques systémiques, culturels et professionnels qui touchent les prestataires de soins de santé ne seront pas abordés ouvertement, le cycle se poursuivra. Il faut mettre en place de toute urgence une réponse complète et coordonnée qui se penche sur la sécurité physique, psychologique et culturelle.

En savoir plus sur le travail de l’AMC en lien avec la sécurité physique, psychologique et culturelle des médecins

La sécurité physique pour les travailleuses et travailleurs de la santé

Les lois provinciales veillent à ce que les établissements de soins de santé prennent toutes les mesures possibles pour réduire les risques dans le lieu de travail.

À l’échelle fédérale, l’AMC a joué un rôle de premier plan dans l’adoption du projet de loi C-3, qui fait en sorte que la violence et le harcèlement contre le personnel de la santé (qui ont beaucoup augmenté pendant la pandémie, à la fois sur le lieu de travail et en ligne) soient considérés comme des infractions criminelles.

La sécurité physique ne consiste pas seulement à protéger les médecins et les apprenantes et apprenants des blessures. Il s’agit également de les aider à s’adapter aux incapacités ou aux limites que leur impose leur santé.

Le Dr Franco Rizzuti, médecin hygiéniste pour les Services de santé de l’Alberta, est président de l’Association canadienne des médecins handicapés. Selon lui, de nombreux milieux de travail exercent une discrimination fondée sur la capacité physique et offrent peu de mesures d’adaptation aux professionnels et professionnelles de la santé qui en ont besoin. 

Le Dr Rizzuti donne l’exemple d’un nouveau bâtiment à l’Hôpital St. Paul, à Vancouver. À l’origine, la conception comprenait une seule salle de repos accessible pour le personnel de garde. Personne n’avait envisagé la possibilité qu’il y ait un jour deux résidentes ou résidents ou deux médecins en fauteuil roulant. 

Selon le Dr Rizzuti, les facultés de médecine ont aussi des problèmes d’accessibilité. Bien que les admissions reflètent davantage la diversité, les infrastructures de bien des établissements sont désuètes. Souvent, il n’y a même pas de toilettes accessibles ou inclusives.

Imaginez être admis dans une faculté et vous rendre compte que vous aurez de la difficulté à aller à la toilette entre les cours. Cela crée rapidement un traumatisme chez l’apprenante ou l’apprenant. On s’attendrait à ce que les gens dans le domaine médical soient plus conscients et compréhensifs. — Dr Franco Rizzuti

La sécurité psychologique pour les travailleuses et travailleurs de la santé

Il y a dix ans, la Commission de la santé mentale du Canada a dirigé l’élaboration d’une norme nationale en matière de santé et de sécurité psychologiques au travail.

Sapna Mahajan, qui a participé aux travaux, explique que depuis que cette norme a été créée, nous sommes passés des simples services de santé mentale offerts dans le cadre des avantages sociaux du personnel à des stratégies actives de promotion et de protection du bien-être au travail. Toutefois, ce changement ne s’est pas opéré dans la culture médicale.

À la question sur les raisons pour lesquelles elles ne vont pas chercher de soutien au bien-être, 55 % des personnes qui ont répondu au SNSM de l’AMC ont indiqué qu’elles considéraient que leur situation n’était pas assez grave, 47 % ont affirmé avoir honte de demander de l’aide et 21 % ont dit craindre d’avoir moins de possibilités d’avancement de carrière ou même de perdre la capacité d’exercer. Seulement 26 % des personnes répondantes avaient consulté un ou une psychiatre, un ou une psychologue ou une conseillère ou un conseiller agréé dans les cinq dernières années.

Comme le mentionne le Dr Rizzuti, on s’attend généralement à ce que les médecins soient « invincibles et infaillibles auprès des patientes et patients ». Demander de l’aide est considéré comme une faiblesse, même chez les médecins ou les apprenantes ou apprenants en médecine qui vivent avec un handicap physique ou un problème de santé mentale.

Lorsque les personnes qui s’expriment ou qui demandent de l’aide font face à de la stigmatisation ou craignent les représailles, il n’y a pas de sécurité psychologique, explique Mme Mahajan, qui croit qu’il est tout aussi essentiel de normaliser les soins de santé mentale pour les prestataires de soins que d’élargir les services de soutien. L’Hôpital Michael Garron de Toronto est un bon exemple : les gestionnaires parlent ouvertement de leur utilisation des programmes d’aide aux employés.

La sécurité culturelle pour les travailleuses et travailleurs de la santé

La sécurité culturelle au travail, qui englobe le racisme et la discrimination dans les soins de santé ainsi que le manque de respect à l’égard des différentes traditions et pratiques, est peut-être le sujet le plus difficile à aborder ouvertement.

Dans les milieux d’apprentissage et de soins cliniques, les travailleuses et travailleurs de la santé sont encore victimes de racisme ciblant les Noirs et les Autochtones, de même que de transphobie et d’homophobie implicites et explicites, pour ne nommer que ces formes de préjugé.

La Dre Cornelia (Nel) Wieman est la première femme autochtone à avoir obtenu le titre de psychiatre au Canada. Elle affirme que les gens à la faculté de médecine présumaient qu’elle avait été admise « parce qu’elle était Indienne ». Dans une entrevue avec l’AMC, elle se souvient d’une fois « où elle était assise à une table et écoutait ses pairs protester contre l’admission d’autres étudiantes et étudiants autochtones en médecine ». Ils avaient peur que « cela fasse baisser le calibre de la faculté ».

Trente ans plus tard, une étude menée auprès de 375 médecins de l’Alberta indique que 67 % d’entre eux ont une préférence implicite pour les personnes blanches plutôt qu’autochtones, et 25 %, une préférence explicite.

Écouter une discussion sur la sécurité culturelle tirée de la série de causeries sur la santé des Autochtones de l’AMC

L’un des 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation consiste à combattre les préjugés en instaurant une formation obligatoire. En réponse à cet appel à l’action, des facultés de médecine de partout au pays se sont engagées à offrir des programmes d’études sur la santé des Autochtones. Les étudiantes et étudiants de l’École de médecine du Nord de l’Ontario passent quatre semaines dans une communauté autochtone. Le référentiel de compétences CanMEDS pour les médecins est également en cours de révision pour qu’il y soient ajoutés des objectifs en matière de lutte contre le racisme et l’oppression, de diversité, d’équité et d’inclusion et d’accessibilité.

Les établissements de santé se sont aussi fixé des objectifs de sécurité culturelle. La Dre Wieman, qui est maintenant médecin hygiéniste en chef de la Régie de la santé des Premières Nations (RSPN) de la Colombie-Britannique, a joué un rôle clé dans l’élaboration de la norme Sécurisation culturelle et humilité de la province, qui aide les dirigeantes et les dirigeants « à accomplir des progrès, à les reconnaître et à les mesurer ».

Pour y parvenir, il faudra non seulement éliminer les obstacles à l’exercice et la maltraitance au travail, mais aussi montrer que le racisme n’est pas toléré et que les différences de point de vue et d’expertise sont les bienvenues.

Intégrer la sécurité physique, la sécurité psychologique et la sécurité culturelle

Afin d’assurer le bien-être des travailleuses et travailleurs de la santé dans tous les milieux de travail du continuum de soins, il est également essentiel d’adopter une approche holistique qui tient compte des interactions entre la sécurité physique, la sécurité psychologique et la sécurité culturelle.

Pour moi, en tant que personne et médecin autochtone, la sécurité culturelle englobe la sécurité physique et psychologique. — Dre Nel Wieman

Le Dr Rizzuti est d’accord. Il explique qu’il a fallu du temps avant que la sécurité au travail couvre la santé mentale. Une intégration élargie de la sécurité physique, de la sécurité psychologique et de la sécurité culturelle est la prochaine étape logique.

« En fait, je crois que pour apporter un véritable changement, il nous revient de reconnaître que, comme beaucoup de choses en santé, elles sont intimement liées », soutient le Dr Rizzuti.

En savoir plus sur le travail de l’AMC en lien avec la sécurité physique, psychologique et culturelle des médecins

Le plan d’action triennal de l’Université de l’Alberta, intitulé A Culture of Care (Une culture de soins), est un exemple de programme complet pour la sécurité des médecins. Il reconnaît qu’une culture de soins doit aborder les aspects physique, psychologique et culturel de la sécurité et que ceux-ci doivent faire partie des valeurs de base de l’organisation pour qu’en fin de compte, tout le monde soit responsable de sa propre « conduite en matière de sécurité ».

Pour que les effectifs en santé prospèrent, il faut que d’autres initiatives de ce genre soient mises en œuvre partout au pays. Des définitions trop étroites de la sécurité au travail mettent à risque les professionnels et professionnelles de la santé ainsi que la patientèle du Canada. Lorsque les prestataires de soins de santé ne sont pas protégés de la violence, lorsqu’ils ne se sentent pas bien accueillis et respectés, lorsqu’ils manquent de soutien en tant que personnes et en tant que professionnels, ils sont exposés à un risque fondamental.

Définitions provisoires de « sécurité physique », « sécurité psychologique » et « sécurité culturelle »

Dans le cadre des travaux d’engagement, d’apprentissage et de découverte qu’elle a menés pendant plus de douze mois, l’AMC a rédigé les définitions provisoires suivantes de « sécurité physique », « sécurité psychologique » et « sécurité culturelle », qui sont destinées à poursuivre leur évolution.

La sécurité physique résulte d’un milieu exempt de tout préjudice, menace de préjudice ou préjudice évité de justesse causé par une personne, une substance, un objet, un risque ou une pratique professionnelle.

La sécurité psychologique désigne un climat de confiance et de respect dans lequel les personnes sont à l’aise d’exercer toute l’étendue de leur champ d’activité et sont assurées que leurs coéquipières et coéquipiers et leurs gestionnaires ne vont pas embarrasser ou punir un ou une collègue qui s’est exprimé dans le cadre de ses fonctions.

La sécurité culturelle repose sur un engagement respectueux qui reconnaît les préférences culturelles (p. ex., les coutumes et les rituels) et qui s’efforce de remédier aux déséquilibres de pouvoir inhérents au système de santé. Elle crée un milieu exempt de racisme et de discrimination dans lequel les personnes sentent qu’elles peuvent s’exprimer sans risque.


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