En cette fin de session parlementaire à l’Assemblée nationale, disons que le dépôt du projet de loi 15 visant à « rendre le système de santé plus efficace » est l’un de ceux qui ont fait le plus parler. Dans les minutes qui ont suivi sa présentation par le ministre de la Santé Christian Dubé, partis d’opposition, associations syndicales et acteurs de l’écosystème de santé au Québec se sont rapidement prononcés publiquement sur son contenu. Certains étaient critiques quant aux orientations du document de 300 pages et l’ont fait savoir clairement en offrant des solutions au ministre. Néanmoins, tous et toutes se sont entendus pour dire que le statu quo ne fonctionne plus.
Un système efficace… à condition d’y avoir accès
Un premier constat semble faire consensus : bien que grandement hypothéqué, le système de santé arrive malgré tout à soigner les patients et patientes gravement malades. On peut même dire qu’une fois pris en charge, le réseau est efficace! Le problème est d’arriver à y mettre le pied pour la personne dont l’état n’est pas une question de vie ou de mort.
Au stade où nous en sommes, il est crucial d’affronter la vérité au sujet de l’accessibilité universelle aux soins de santé. En réalité, l’accès aux soins s’avère de plus en plus problématique. Soyons francs : même si le système de santé représente 42,6 % des dépenses du Québec pour 2023-2024, sa performance n’est pas garantie.
Un constat s’impose alors, soit celui de régler une fois pour toutes le goulot d’étranglement et particulièrement celui de la première ligne. Évidemment, ce n’est pas en criant ciseaux qu’on y arrivera. La prise en charge des patients et patientes devrait être confiée à des équipes de soins et non reposer uniquement sur les épaules des médecins de famille. Il importe aussi de redorer le blason de la pratique de la médecine familiale, boudée par les étudiants et étudiantes en médecine en raison de sa lourdeur, liée notamment à un fardeau administratif croissant. Il s’agit en fait d’un enjeu pancanadien qui prend de l’ampleur et auquel nous devons urgemment répondre. La Faculté de médecine de l’Université Queens, en Ontario, a récemment ouvert un campus satellite qui formera uniquement de futurs médecins de famille. La première cohorte fera son arrivée en septembre prochain. L’objectif est clair : répondre à la pénurie de médecins de famille dans cette région de l’Ontario. Inspirons-nous de ce qui se fait bien ailleurs, ça ne peut qu’aider notre cause.
Placer l’humain au cœur du réseau
Je suis médecin de famille à Val-d’Or depuis plus de 30 ans, et disons que j’ai vécu mon lot de réformes des soins de santé! Chaque ministre, depuis que j’exerce, était conscient que le système n’était pas optimal et avait le désir de l’améliorer. Or, les enjeux sont tenaces et chaque ère apporte son lot de défis. Le bien-être au travail des effectifs médicaux, toutes professions confondues, est peut-être l’un des plus pressants aujourd’hui. N’oublions pas que le principal atout du système de santé est ses gens. Plus son personnel est épanoui au travail, mieux la population se porte. La présente réforme devra donc absolument éviter d’instaurer des procédures irritantes qui auraient pour effet malheureux d’amplifier la désertion du personnel vers d’autres environnements, notamment le secteur privé. Assurons-nous plutôt de créer des milieux de travail motivants pour donner envie à tout le monde de choisir et surtout, de rester dans le réseau de santé.
Chose certaine, le succès de cette énième réforme dépend de la bonne foi et de la coopération de tous les acteurs, qu’ils soient gestionnaires, médecins, infirmières ou employés du réseau. Comme professionnels et professionnelles de la santé, il est de notre devoir de faire tout ce que nous pouvons pour offrir à la population le système qu’elle mérite, même si cela veut dire faire les choses autrement.
Dr Jean-Joseph Condé
Porte-parole francophone et membre du Conseil d’administration de l’Association médicale pour le Québec
Cette lettre ouverte a initialement été publiée dans Le Soleil