Alors qu’on observe au Québec une accélération du recours à l’entreprise privée dans le secteur public de la santé, il est plus que nécessaire d’aborder la question de front. Devant l’incapacité du régime public à fournir des services de santé dans des délais raisonnables, il faut se rendre à l’évidence et admettre que la situation n’est plus tenable. Le secteur privé peut-il faire partie des solutions? Le gouvernement peut-il octroyer des mandats aux prestataires de soins de santé privés pour augmenter l’offre de service, sans que les personnes malades aient à débourser de l’argent? Voilà certaines des questions qui se trouvent au cœur des consultations chapeautées par l’Association médicale canadienne.
Parlons d’universalité
En cette période de réforme du réseau de la santé, l’universalité des soins devrait agir comme un phare dans la nuit pour le gouvernement du Québec. Il faut absolument que toute la population puisse avoir accès aux soins auxquels elle a droit, sans égard à sa situation économique. Or, voilà exactement où le bât blesse : actuellement, on se targue d’offrir des soins de santé universels, mais la réalité est toute autre. On n’a qu’à penser aux dizaines de patients qui se présentent à l’hôpital pour une opération et qui, à la porte du bloc opératoire, se font finalement retourner à leur domicile! Ou encore aux milliers de Québécois en attente d’un médecin de famille ou d’un test diagnostic pour une condition inquiétante. Et que dire des patients souffrant de problèmes de santé mentale qui n’ont pas les moyens de se payer un psychologue au secteur privé et qui se découragent d’en voir un dans le réseau public! Peut-on parler vraiment d’universalité? À mon avis, une réelle universalité se résumerait à avoir accès aux soins opportuns en temps opportun, peu importe sa capacité de payer. Force est d’admettre qu’en ce moment, ce n’est pas nécessairement ce qui se passe.
Un sujet inévitable
Voyant la tendance du recours au secteur privé s’accentuer au fil des ans, l’Association médicale canadienne mène présentement une tournée pancanadienne pour explorer les perspectives en matière de soins de santé. Le 23 octobre prochain, en compagnie de La Presse, nous serons justement à Montréal pour discuter de cette question avec différents acteurs de l’écosystème québécois des soins de santé. Cette tournée vise à prendre le pouls de la situation et à mieux envisager l’avenir du système de santé. Elle ne fait pas la promotion d’un modèle particulier, mais s’interroge sur les orientations à retenir, considérant que le statu quo n'est plus une option. Le Québec est d’ailleurs un lieu incontournable pour une telle discussion puisque c’est la province qui a déjà le plus recours au privé en santé.
Cela fait plus de 30 ans que je suis médecin de famille à Val d’Or en Abitibi. J’ai vu mon domaine et ma propre pratique se transformer au fil des années. Je partage l’inquiétude de mes patients qui attendent depuis des mois pour passer un examen important, à ceux qui attendent plus de 18 mois pour une chirurgie de la hanche, désormais contraints à se déplacer en fauteuil roulant et à ceux qui attendent jusqu’à 24 heures à la salle d’urgence, faute de médecin de famille!
En plein chantier pour la refonte du système de santé avec le Projet de loi 15 que le ministre Dubé veut adopter avant la fin de l’année, il est plus que temps de se parler afin de chercher ensemble les meilleures solutions possibles pour les patients actuels et futurs.
Dr. Jean-Joseph Condé
Porte-parole francophone et représentant du Québec au Conseil d’administration de l’Association médicale canadienne
Ce texte a initialement été publié dans La Presse+