Le Dr Thomas Brothers nous parle de l’importance de demander l’avis d’experts – au-delà du milieu médical
1 juin 2022
Les médecins du Canada prennent de plus en plus la parole pour défendre les intérêts du public. Le Dr Thomas (Tommy) Brothers, résident en médecine interne générale à Halifax qui se spécialise en médecine des toxicomanies et en réduction des préjudices, nous parle de l’importance de créer des liens avec la communauté – au-delà du monde médical – pour mieux servir les patients.
Qu’est-ce qui vous a motivé à défendre les intérêts du public, à titre de médecin, dans le domaine du traitement des toxicomanies?
Au début de mes études en médecine, j’ai travaillé avec des organismes communautaires spécialisés dans la réduction des préjudices à Halifax. J’ai vu à quel point ces organismes faisaient bien les choses; motivés par l’altruisme, la compassion, l’inclusion et l’autonomie, ils comptaient parmi les membres de leur personnel des intervenants ayant une expérience vécue du domaine.
La situation n’était pas la même dans les milieux de soins de courte durée. Les travailleurs et travailleuses de la santé en milieu hospitalier n’étaient pas à l’aise avec les traitements médicamenteux et avaient une compréhension différente de la nature de la toxicomanie; ces gens avec qui je créais des liens à l’extérieur de l’hôpital vivaient des expériences négatives en tant que patients.
J’ai voulu devenir un agent de liaison et combler cette lacune en puisant des connaissances au sein de la communauté, pour ensuite les mettre à profit dans le milieu médical.
En 2021, le Dr Brothers a remporté le Prix des jeunes chefs de file de l’AMC (médecins résidents). En savoir plus sur Prix des jeunes chefs de file de l’AMC (médecins résidents).
Quels sont les obstacles à l’accès aux soins hospitaliers pour les patients?
Notre équipe du Centre des sciences de la santé Queen Elizabeth II défend les intérêts de gens qui consomment des drogues et qui sont souvent en situation d’itinérance. Malgré la bonne volonté et les bonnes intentions des professionnels de la santé, il y a beaucoup d’incompréhension et les besoins de ces patients sont parfois ignorés.
Des patients ont vécu des expériences horribles à l’hôpital, où ils ont subi de la discrimination, ont senti que leur douleur n’était pas prise en charge de manière appropriée, ou ont été carrément abandonnés à leurs souffrances liées au sevrage. Par conséquent, ils se tiennent loin de l’hôpital.
Pour ce qui est des soins de courte durée, cette situation entraîne des conséquences désastreuses.
Par exemple, un patient qui développe un abcès cutané à force de s’injecter des drogues pourrait attendre trop longtemps avant de solliciter des soins. Faute d’être drainé et en l’absence de traitement aux antibiotiques, l’abcès grossit et se transforme en infection grave.
Nous avons entendu des commentaires de patients, à l’échelle locale, qui affirment avoir eu une expérience positive lorsque nous traitons le sevrage et la douleur de façon énergique et que nous leur offrons un traitement par agonistes opioïdes. C’est une excellente nouvelle, mais il nous reste encore un long chemin à parcourir.
« Même quand on ressent de la frustration et du découragement, le fait de militer pour une cause peut s’avérer un puissant antidote à l’épuisement professionnel. »
Quels changements observez-vous dans le traitement de la toxicomanie en milieu de soins de courte durée?
J’ai la chance de travailler dans une communauté très soudée. Je n’occupe pas de fonctions de leadership officielles, donc je n’ai pas vraiment la possibilité de changer les politiques ou les pratiques directement depuis le haut de la pyramide. Depuis le début, je m’efforce essentiellement de créer des liens, de promouvoir l’esprit d’équipe et d’inviter les gens à participer à la conversation.
Dans un premier temps, j’ai engagé une discussion avec notre service local de soins infirmiers sur le terrain, l’organisme Mobile Outreach Street Health (MOSH). Je pouvais voir les avantages évidents de leurs méthodes de travail.
En milieu hospitalier, cependant, certains médecins se sentaient un peu dépassés et n’avaient pas les connaissances ou les compétences nécessaires pour soigner les patients qui consomment des drogues. Mais en réalité, les outils cliniques existaient bel et bien; c’est simplement qu’ils n’avaient pas nécessairement été appliqués.
Parlez-moi des outils cliniques que les médecins utilisent à l’heure actuelle en milieu hospitalier.
Eh bien, tous les médecins et chirurgiens spécialisés en soins actifs pourraient facilement utiliser des opioïdes à courte durée d’action pour traiter la douleur en milieu hospitalier. Mais en raison d’incompréhension et d’idées reçues sur la nature de la toxicomanie, certains hésitent à prescrire ces médicaments pour soulager la souffrance de patients qui ont déjà un trouble lié à l’usage d’opioïdes.
Quand nous travaillons avec des patients pour déterminer la posologie d’opioïdes, ils peuvent rester à l’hôpital, éviter de devoir accéder aux sources illicites de drogues et obtenir les soins médicaux dont ils ont besoin.
« Nos collègues médecins et les membres du personnel infirmier praticien peuvent en apprendre davantage sur les différentes options de médicaments pour la dépendance aux opioïdes; cette initiative a également contribué à réduire la stigmatisation. »
Avec mes collègues en médecine d’urgence, j’ai également contribué à élaborer un protocole qui ressemble un peu à une liste de contrôle. Le protocole est appuyé par des pharmaciens et pharmaciennes et permet aux patients de passer à une dose thérapeutique de buprénorphine/naloxone (nom commercial Suboxone) en quelques heures.
Même pour les patients qui se retrouvent brièvement au service des urgences, il est important de pouvoir offrir ces médicaments sur demande. Premièrement, ils aident à prévenir les surdoses et l’effet de sevrage. Deuxièmement, si un patient souhaite recevoir le traitement, il peut s’agir du moment idéal pour commencer la prise de médicaments. Le fait de commencer à prendre des médicaments dans un milieu de soins actifs augmente considérablement les chances, pour les patients, de poursuivre leur traitement par agonistes opioïdes une fois qu’ils quittent l’hôpital.
Qu’espérez-vous réaliser à l’avenir avec ces initiatives?
Pour ce qui est de rendre ces changements permanents et d’intégrer des experts parmi le personnel pour offrir ces soins, nous essayons de trouver une source de financement, mais rien n’est clairement déterminé pour l’instant. Les pratiques de réduction des préjudices en milieu hospitalier sont encore relativement nouvelles.
Certains des changements que nous avons apportés s’appuient sur des politiques existantes. Par exemple, nous avons introduit en milieu hospitalier des trousses de naloxone à emporter. Cette initiative découle d’une politique sur les patients externes, mais nous avons fait preuve de créativité pour pouvoir l’appliquer en milieu hospitalier.
Nous élaborons actuellement, à l’intention des autorités sanitaires locales, des projets de politiques concernant la réduction des préjudices et l’utilisation de substances psychoactives à l’hôpital et espérons qu’ils seront mis en œuvre de façon durable.
Cette entrevue a été éditée et condensée à des fins de clarté.