La Dre Amy Tan nous parle de race et d’équité en médecine
18 novembre 2021
Dans la présente série d’articles, certains des médecins les plus engagés au Canada expliquent pourquoi ils estiment que leur voix est essentielle pour assurer un avenir meilleur et ce qui les motive à participer aux conversations publiques sur la santé et les questions connexes.
La Dre Amy Tan, médecin de famille et en soins palliatifs, et professeure, en Colombie-Britannique, aussi « mère, épouse, colonisatrice racisée et activiste pour l’équité », selon son profil Twitter, explique pourquoi elle a commencé à jouer un rôle actif sur Twitter et dans les médias ces deux dernières années en s’attaquant directement aux questions raciales, tant en médecine que dans la société en général.
Les débuts
Honnêtement, je dirais que ça a toujours été dans ma nature d’aider les autres. J’absorbe les émotions des gens. J’ai quitté la maison pour poursuivre mes études. Dans ma culture, ça ne se faisait pas, alors je suis vraiment sortie de ma zone de confort. Mes parents ont immigré au Canada peu après avoir terminé leur secondaire. Je suis la première dans ma famille à être allée à l’université et à avoir étudié en médecine. Pour une jeune femme chinoise de 18 ans, c’était impensable de quitter la maison, même si on recevait une bourse, ça ne se faisait tout simplement pas.
Le racisme
Aujourd’hui, je donne des cours de sensibilisation au racisme à des étudiants en médecine, à des médecins résidents et à des médecins praticiens. Mais il y a 20 ans, on ne parlait pas de racisme. Je n’avais pas les mots pour décrire ce que je vivais – je ne pouvais pas nommer mes expériences, car c’était encore plus tabou d’en parler à l’époque que maintenant. J’ai vécu le racisme, mais je n’étais tout simplement pas outillée pour analyser mes propres expériences et encore moins celles des autres.
Les réfugiés et la sensibilisation
Depuis toujours dans ma vie en général et dans mes cours, j’insiste énormément sur l’importance de tenir compte des déterminants sociaux et de se mettre dans la peau des patients. Au contact de réfugiés syriens, je me suis rendu compte que nous ne devions pas perdre de vue leur « humanité » et le fait qu’ils sont d’abord et avant tout des survivants. Nous devons absolument leur accorder du temps, car ils ont confiance en nous. Ils se tournaient vers nous chaque fois qu’ils avaient une question sur la vie au Canada. J’ai pris cette responsabilité au sérieux, et j’étais reconnaissante qu’ils se sentent assez en sécurité dans notre clinique pour s’adresser d’abord à nous afin d’obtenir des réponses.
Le tournant
À la fin de 2019, j’ai commencé à « monter le ton » à cause des souffrances causées par la COVID-19 et des attaques du gouvernement de l’Alberta contre les soins de santé primaires. Certains de mes patients étaient des travailleurs essentiels, notamment dans le secteur de la transformation alimentaire, qui avaient peur et qui n’étaient pas protégés par leur employeur. Je me souviens avoir dit à un journaliste en avril 2020 : « Je vais me mettre des gens à dos en disant cela, mais le fait que ces entreprises qui exploitent de nouveaux immigrants et des personnes racisées soient toutes gérées et détenues par des Blancs ne m’échappe pas ».
Les conséquences
Depuis deux ans, je fais l’objet d’attaques racistes et misogynes parce que je m’exprime ouvertement en tant que femme racisée. On m’a accusée d’être une espionne chinoise, on m’a dit des choses terribles, j’ai reçu des menaces de mort. Mais quand j’ai dénoncé cette situation, c’est comme si une barrière était tombée. Peu importe à quel point j’ai peur, ça n’a pas d’importance parce que c’est la vérité – c’est le vrai visage du Canada. Nous sommes racistes. Dès lors, je me suis dit : « Si, en tant que médecin, j’ai le privilège d’être écoutée, eh bien, soyez assurés que je vais parler! »
J’utilisais mon compte Twitter pour des conférences ou des événements et pour ce qui concernait la planification des soins ou mes activités en soins palliatifs – bref, à des fins universitaires et « pour un public initié ». C’était un moyen de collaborer avec des gens de partout dans le monde dans un contexte universitaire. J’ai commencé à me servir de Twitter pour communiquer avec le grand public à la fin de décembre 2019. Je publie vraiment beaucoup – beaucoup – plus activement depuis que mes parents, qui ont immigré au Canada il y a 50 ans et qui sont citoyens canadiens, m’ont dit qu’ils avaient peur de sortir de leur maison, à Vancouver. Quelque chose s’est brisé en moi. C’est là que j’ai publié ma première vidéo sur Twitter et que j’ai dit : « Mes parents sont des citoyens canadiens. Le fait qu’ils ne soient pas Blancs n’enlève rien à leur identité canadienne. Comment osez-vous leur donner l’impression qu’ils ne sont pas en sécurité? »
Le privilège et le statut
Je sais que j’occupe une place privilégiée dans la société simplement parce que je suis médecin. Notre profession a été placée sur un piédestal, peu importe qu’on estime que ça soit mérité ou non. Quoiqu’il en soit, j’ai décidé de faire bon usage de ce privilège, car j’ai fini par comprendre. Nous pensons à tort que le Canada est un pays multiculturel et que nous ne sommes pas racistes, mais il y a tout un pan de la société qui est très mal traité. Quand les journalistes m’ont citée, ce qui comptait réellement, c’était la tribune qui m’était offerte et la crédibilité dont je disposais en tant que médecin pour dénoncer les injustices de ce type.
L’objectif
Je gazouille avec le cœur. Vraiment. J’assume tout ce que je dis. C’est ma boussole morale. J’aspire à une solidarité pour tous – personnes racisées, noires, autochtones – et à ce que l’humanité de chacun soit respectée. Même si je suis cisgenre et hétérosexuelle, je suis en faveur des droits LGTBQ2S+ – encore une fois, parce que je pense que chacun mérite d’être vu, entendu, compris et respecté dans ses différences et ses expériences vécues uniques. On peut se laisser écraser par le poids de la situation ou rester les bras croisés. Personnellement, j’ai choisi d’AGIR.