L’AMC FAIT LE POINT SUR…
Partout au pays, les ministres de la Santé sont aux prises avec des listes d’attente insurmontables, et ce, dans une foule de services, des soins primaires aux chirurgies spécialisées. Certaines personnes se tournent donc vers le secteur privé. Pour beaucoup de Canadiens et de Canadiennes, le mot « privatisation » évoque un système de santé à l’américaine, mais il faut savoir que d’autres modèles existent, chacun avec ses avantages et ses inconvénients.
L’Association médicale canadienne (AMC) estime que le moment est venu de demander le système de santé que nous voulons, en nous fondant sur une compréhension commune de la situation actuelle, et en mettant l’accent sur l’accès aux soins, l’équité, la qualité et la capacité du système. Voici quelques points généraux pour lancer la discussion.
La couverture de soins de santé « publics »
Dans son budget de 2023, Ottawa s’est engagé à consacrer 196,1 milliards de dollars sur dix ans au financement de la santé. Pour recevoir leur part, les gouvernements provinciaux et territoriaux doivent respecter les conditions applicables au régime public d’assurance maladie.
Le système public canadien est axé sur les hôpitaux, les diagnostics et les médecins, et ne couvre pas tous les types de soins. Par exemple, lorsqu’une personne se casse la cheville, elle n’aura pas à payer directement la radiographie et le traitement, mais pourrait devoir payer les séances de physiothérapie en externe pour le renforcement de sa cheville.
Par ailleurs, les provinces et les territoires, bien qu’ils doivent assurer la supervision des soins de santé publics, peuvent confier la prestation à des établissements ou à des prestataires de soins privés, tant que les services couverts par le régime public ne sont pas facturés aux patients et aux patientes.
Voici quelques exemples :
Quels que soient les services couverts et le mode de prestation, les soins de santé sont interconnectés. Ainsi, tout changement peut avoir un effet domino – pour le meilleur ou pour le pire.
Par exemple, la personne qui s’est cassé la cheville aura peut-être tout avantage à suivre un traitement de physiothérapie après l’intervention chirurgicale. Si elle possède une assurance privée ou a les ressources financières pour payer de sa poche, elle bénéficiera probablement d’un service plus rapide et plus efficace auprès d’un ou d’une prestataire du secteur privé.
En revanche, si elle n’a pas les moyens de s’offrir des services privés, elle n’aura d’autre choix que d’opter pour un ou une médecin ou un établissement financés par l’État, ce qui aura une incidence sur l’évolution de son état de santé ou sur le temps d’attente, sans compter les répercussions pour les autres patients et patientes.
Par ailleurs, la question des effets de cette dynamique public-privé sur les peuples autochtones, qui font face, encore aujourd’hui, à de sérieux obstacles pour obtenir des soins complets et équitables, mérite qu’on lui accorde une attention particulière.
« Ce n’est pas une conversation facile, mais le moment est venu d’engager un dialogue franc sur la voie à suivre pour sortir de la crise des soins de santé. Les Canadiens et les Canadiennes doivent avoir accès aux services nécessaires en temps voulu, et les solutions doivent tenir compte de l’expérience vécue des patients et patientes et des fournisseurs de soins. »
Dre Kathleen Ross, présidente de l’AMC
Des normes pour les soins de santé à la grandeur du Canada
La Loi canadienne sur la santé impose cinq conditions au régime public d’assurance maladie :
- Il doit être universel, c’est-à-dire offert à tous les résidents et à toutes les résidentes d’une province ou d’un territoire.
- Il doit être intégral, c’est-à-dire qu’il doit couvrir tous les services médicalement nécessaires fournis par les hôpitaux, les médecins et les dentistes (lorsque la prestation doit se faire à l’hôpital).
- Il doit être accessible à tous les résidents et à toutes les résidentes ayant des besoins médicaux, sans qu’il y ait d’entrave sous aucun motif discriminatoire, dont la capacité de payer les services.
- Il doit être transférable, c’est-à-dire qu’il doit offrir des soins aux citoyens et aux citoyennes qui voyagent au Canada ou qui déménagent dans une autre province ou un autre territoire.
- Il doit être administré par le secteur public et géré sans but lucratif par le gouvernement ou une autorité publique responsable.
Les soins de santé gérés par le gouvernement fédéral – soins offerts aux membres des Premières Nations habitant sur une réserve, aux Inuits et Inuites, aux membres actifs des Forces canadiennes, aux anciens combattants et anciennes combattantes admissibles, aux détenus et détenues des pénitenciers fédéraux et à certains demandeurs et demandeuses d’asile – doivent aussi respecter ces critères.
La combinaison actuelle de soins publics et privés
Le rôle du secteur privé dans les soins de santé peut se manifester de manière évidente – par exemple lorsqu’on reçoit une facture du dentiste ou de l’optométriste –, mais il peut aussi être plus subtil. Ainsi, les patients et patientes n’ont pas à payer pour les services médicalement nécessaires reçus dans les cliniques privées sans rendez-vous, ceux-ci étant financés par l’État. Il en va de même pour la plupart des analyses sanguines et des échographies effectuées dans les cliniques et les laboratoires privés.
Voici un portrait de la répartition entre soins publics et privés en Ontario – province où l’on trouve la plus grande concentration de prestataires de soins –, qui donne une idée de la situation au Canada.
PUBLIC : Médecins
Les médecins qui exercent à l’extérieur du milieu hospitalier fonctionnent à la manière de petites entreprises et paient leurs frais généraux et leurs dépenses cliniques; cependant, 98 % des services fournis sont couverts par le régime public d’assurance maladie.
PUBLIC : Hôpitaux
Les hôpitaux sont des sociétés indépendantes sans but lucratif (pour la grande majorité) qui sont financées par le gouvernement. Le régime provincial couvre les soins hospitaliers de base donnés dans tous les établissements, mais non les services optionnels, comme le séjour en chambre individuelle.
PRIVÉ : Médicaments
Les médicaments administrés à l’hôpital, de même que certains médicaments destinés à des groupes précis de patients et patientes, sont payés par les fonds publics. Tous les autres sont payés directement par la personne ou par une assurance maladie privée.
PRIVÉ : Santé mentale
À l’exception des consultations auprès d’un ou d’une médecin et de certains programmes de santé mentale et de lutte contre les dépendances, les services de consultation en santé mentale (auprès d’un ou d’une psychologue en milieu communautaire, par exemple) sont payés directement par la personne ou par une assurance maladie privée.
PRIVÉ : Soins dentaires
Les services sont facturés directement aux patients et patientes. (La nouvelle prestation dentaire canadienne couvrira les soins de certaines personnes, en fonction de leur revenu.)
PUBLIC : Analyses et diagnostics
La plupart des analyses de laboratoire et des examens diagnostiques sont financés par les fonds publics, mais fournis par des prestataires du secteur privé (avec certaines exceptions).
PUBLIC/PRIVÉ : Soins de longue durée
Plus de 43 % des établissements de soins de longue durée sont des entités publiques ou des organismes sans but lucratif financés par l’État, les autres étant exploités par des entreprises à but lucratif. Les frais d’hébergement sont ajustés selon le revenu.
PUBLIC/PRIVÉ : Soins à domicile
L’admissibilité à la couverture publique et la durée de cette couverture sont déterminées par un organisme provincial. Les personnes qui n’y ont pas droit peuvent recourir à des services communautaires (avec possiblement un partage des frais) ou privés.
PUBLIC/PRIVÉ : Soins virtuels
Les soins virtuels évoluent à vitesse grand V. Le régime public couvre les services offerts par la ligne téléphonique provinciale accessible en tout temps, ainsi que les rendez-vous fixés par les prestataires de soins. Les services privés directs, y compris les consultations par message texte, téléphone et vidéo, ne sont pas couverts.
L’influence du code postal
La répartition entre soins publics et soins privés varie selon le lieu de résidence.
L’accès à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) illustre bien la chose. Tout régime d’assurance maladie provincial ou territorial doit couvrir les examens d’imagerie médicalement nécessaires. Le problème, c’est le délai pour en obtenir un.
Dans des régions éloignées comme le Nunavut ou les Territoires du Nord-Ouest, on ne trouve aucun appareil d’IRM, dont le coût s’élève à environ trois millions de dollars. Les gens qui résident dans ces territoires sont donc obligés de se déplacer pour passer cet examen. En d’autres endroits, même si l’on trouve des appareils, le temps d’attente moyen va de 33 à 91 jours.
Certains gouvernements, comme ceux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, se sont attaqués au problème en finançant des entreprises privées pour qu’elles mènent des examens d’IRM. Le service reste couvert par le régime public, sans frais pour les patients et patientes.
En Saskatchewan, des services d’IRM privés et payants sont offerts depuis 2016, mais les cliniques doivent, pour chaque examen payé par des fonds privés, offrir une place à un patient ou une patiente sur la liste d’attente du système public.
D’autres provinces ont ouvert la voie aux services diagnostiques financés et fournis par le secteur privé. L’Alberta a établi la première clinique de services privés et payants en 1993, à Calgary. Aujourd’hui, on trouve ce type de clinique en Colombie-Britannique, au Québec, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse.
Les patients et patientes qui habitent une province n’offrant pas de services d’IRM privés et payants – comme l’Ontario, le Manitoba, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador – peuvent toujours se rendre dans une autre province pour l’obtenir.
Payer la facture des soins privés
Une grande part du financement des soins privés vient des compagnies d’assurance.
72/28
En 2022, les provinces et les territoires ont assumé 72 % des coûts de tous les soins de santé. Le reste a été payé par les patients et les patientes, directement (11 %), par l’entremise d’une assurance privée (15 %) ou par d'autres sources (2 %).
27 millions
Quelque 27 millions de Canadiens et de Canadiennes ont une assurance privée. Environ 66 % ont un régime offert par leur employeur, tandis que les autres paient leur police d’assurance.
1 000 $
En moyenne, les Canadiens et les Canadiennes ont déboursé plus de 1 000 $ pour des soins de santé en 2020.
Ce qu’en pense la population canadienne
Avant l’annonce du budget fédéral de 2023, l’Institut Angus Reid a sondé la population canadienne quant à la possibilité d’accroître la place du privé dans le financement et la prestation des soins. Les personnes répondantes ont été réparties selon trois catégories :
Adeptes du privé
Pensent que la privatisation est un changement nécessaire.
Ambivalent(e)s
Reconnaissent les avantages des soins publics et des soins privés.
Adeptes du régime public
Laissent peu ou pas de place au privé.
« Il faut faire preuve de transparence quant aux réalités du système, car il y a énormément de mésinformation. Beaucoup de gens ne savent pas qu’actuellement, les soins de santé sont en fait une combinaison de services publics et privés. Nous ne pouvons militer pour un accès équitable et rapide pour toutes et pour tous qu’en ayant une compréhension commune de toutes les options possibles. »
Sudi Barre, Voix des patients à l’AMC
Dans l’ensemble, 43 % des personnes répondantes étaient favorables à l’idée de permettre aux patients et patientes de payer de leur poche pour obtenir plus rapidement des examens diagnostiques ou certaines interventions chirurgicales, alors que 47 % y étaient opposées.
SOURCE : Sondage mené auprès de 2 005 Canadiens et Canadiennes (échantillon randomisé) du 1er au 4 février 2023 par l’Institut Angus Reid. La marge d’erreur est de ± 2 %, dans 19 cas sur 20.
La position de l’AMC
À la suite d’une tournée nationale d’écoute qui nous a permis de tâter le pouls de plus de 10 000 personnes au Canada, dont des médecins en exercice et en devenir ainsi que des patients et patientes, nous avons actualisé notre politique sur les soins publics-privés.
Lire notre politique actualisée
Cette politique se penche sur les réalités actuelles des soins de santé au Canada, tout en restant ancrée dans la mission de renforcer et de préserver l’accès universel aux soins de santé.