Balado

Pensons santé : Le stress particulier de la résidence

20 janvier 2021 AMC

La D^re Stephanie Klein parle du programme novateur de bien-être des médecins résidents qu’elle a fondé à l’Hôpital général de North York, après le suicide de son frère jumeau, qui était aussi résident.

« Lorsque la recherche d’aide n’est pas normalisée dans la formation médicale, ça donne l’impression qu’avoir des difficultés et avoir besoin d’aide, c’est une faiblesse. » – D^re Stephanie Klein

Les statistiques révèlent que l’épuisement professionnel, la dépression et les pensées suicidaires atteignent un sommet durant la résidence, plus qu’à toute autre étape de la carrière en médecine. Pourquoi l’étape de la résidence est-elle aussi difficile à franchir, et que pouvons-nous faire pour nous assurer que les gens reçoivent l’aide nécessaire? Dans cet épisode, la D^re Caroline Gérin-Lajoie parle avec la D^reStephanie Klein de la perte de son frère jumeau, qui s’est suicidé alors qu’il commençait sa résidence, et de comment cet événement l’a amenée à créer un programme de bien-être pour médecins résidents à l’Hôpital général de North York, qui est devenu un modèle pour des programmes similaires partout dans le monde.

Veuillez noter que ce contenu est offert en anglais seulement.

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Sujets

Formation Résilience Suicide Soutien par les pairs Dépression Épuisement professionnel Stress

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Le stress particulier de la résidence

D^re Caroline Gérin-Lajoie (introduction) : Bienvenue à Pensons santé, un balado sur le bien-être des médecins et la culture médicale. Je suis votre hôte, la Docteure Caroline Gérin-Lajoie. Bien des médecins vous diront que la période de la résidence a compté parmi les plus difficiles de leur carrière. Les attentes sont extrêmement élevées, et la courbe d’apprentissage peut être abrupte. Selon un sondage national sur la santé des médecins mené en 2018 par mes collègues de l’Association médicale canadienne, les médecins résidents sont 48 % plus susceptibles de vivre de l’épuisement professionnel que les médecins en exercice et 95 % plus susceptibles de faire une dépression que ces derniers. Ils présentent aussi un risque beaucoup plus élevé d’idéation suicidaire. Ces chiffres n’étonnent pas la D^re Stephanie Klein. En 2016, pendant sa résidence, elle a mis sur pied l’un des premiers programmes canadiens de bien-être pour résidents à l’Hôpital général de North York, un projet qu’elle explique avoir mis en branle à la suite d’une expérience qui a marqué sa vie personnelle.

D^re Stephanie Klein : Tout a commencé quand mon frère jumeau et moi avons été acceptés en médecine – lui à l’Université Queen’s et moi à l’Université de Toronto. Personnellement, j’ai trouvé certains aspects de ma formation médicale assez difficiles. Nous vivions tant de nouvelles expériences. Il y avait beaucoup à apprendre. Je crois qu’aujourd’hui, la plupart des étudiants en médecine sont très compétitifs et habitués au succès. Et soudain, il y a plein de changements et de choses à apprendre en peu de temps. J’ai dû composer avec ma propre anxiété, surtout durant le stage clinique. J’ai été contente d’avoir demandé de l’aide à un certain point parce que je ne savais pas ce qui m’attendait. Je dirais que le moment de plus marquant de ma vie a eu lieu le 3 juillet 2015. Ce jour-là, j’ai appris que mon frère jumeau, qui venait tout juste de terminer sa formation médicale à l’Université Queen’s et devait commencer sa résidence en médecine familiale, s’était tragiquement enlevé la vie. Ça a été tout un choc. Si j’avais à décrire ce que j’ai ressenti, c’est comme être sous l’eau et se démener pour remonter à la surface et éviter de suffoquer. Je me suis rendu compte que la personne que j’étais quelques secondes plus tôt n’existait plus et que la vie ne serait plus jamais la même. Nous n’avons pas eu de signes avant-coureurs. De l’extérieur, mon frère avait l’air d’avoir tout ce qu’il lui fallait, mais malheureusement, sa détresse était intérieure. Beaucoup de professionnels de la santé, d’étudiants en médecine, de médecins souffrent comme ça. Le suicide amène son lot de complexité. De nombreuses questions resteront toujours sans réponse. Pour vivre avec cette réalité, je me rappelle que toute maladie a différents degrés de gravité et que le suicide est une conséquence fatale de la dépression, mais qu’il n’est en aucun cas un choix. Les personnes qui souffrent n’y peuvent rien. La dépression est une maladie qui cause des millions de décès chaque année et qui touche de façon disproportionnée la profession médicale. C’est pourquoi je me suis mise à la recherche de solutions à ce problème. Depuis cinq ans, je m’efforce de donner un sens à la vie de mon frère et d’apaiser ma douleur en sensibilisant les gens et en lançant des programmes favorisant la santé mentale et la prévention du suicide chez les étudiants en médecine et les médecins au Canada.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Le programme de bien-être pour médecins résidents mis sur pied par la D^re Klein existe toujours à l’Hôpital général de North York, et il a été reproduit et adapté un peu partout au pays. La D^re Klein est maintenant responsable du bien-être du personnel au service de médecine familiale de cet hôpital et enseignante clinique au département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto. Pour lancer notre discussion, je lui ai demandé de mettre en relation son expérience-choc et son parcours en promotion du bien-être.

D^re Stephanie Klein : Ça faisait partie de mon processus de guérison. Je crois que chacun vit son deuil à sa façon. Mon réflexe a été de me renseigner pour en savoir le plus possible sur les causes du problème. J’étais loin de me douter que le suicide était aussi répandu chez les médecins. Puis, j’ai réalisé que c’était un véritable phénomène dans notre profession. Et je n’arrivais pas à comprendre, parce que nous sommes des experts du système de santé, nous y avons un accès privilégié et pourtant nous sommes ceux qui y recourent le moins. Pour composer avec toutes les émotions et les difficultés que je vivais à l’époque, je me suis donnée corps et âme à la recherche de réponses. C’est ce qui m’a lancée dans une quête de stratégies et de programmes pour améliorer la situation. J’ai commencé ma résidence quelques mois à peine après avoir perdu mon frère. C’était en médecine familiale à l’Hôpital général de North York. Le bien-être n’était pas encore un concept établi. C’était en 2016. On en parlait un peu, mais il n’y avait pas de responsable du bien-être ni de programme de formation en bien-être. Je voulais changer ça. J’ai présenté un plan à la direction de mon programme pour créer un programme de formation nommé Gaining Resilience In Training [renforcement de la résilience durant la formation], et on l’appelait GRIT pour faire plus court. Il s’inspirait… En fait, l’Université Vanderbilt avait un programme de formation en bien-être à l’époque qui présentait des concepts clés : le bien-être intellectuel, le bien-être émotionnel, et le bien-être physique. Notre concept visait à créer des initiatives dans chacune de ces sphères pour promouvoir l’équilibre travail-vie personnelle chez les médecins résidents du programme et leur donner accès à du soutien. Le but était aussi de déstigmatiser l’accès aux ressources en les intégrant au programme. Au début, nous proposions des retraites de bien-être, diverses activités sociales, des séances de yoga, du mentorat et d’autres activités, puis nous en sommes venus à créer des groupes Balint et à les intégrer au programme de résidence. Les groupes Balint sont un type de groupe de soutien par les pairs nommé en l’honneur d’un psychanalyste britannique, Michael Balint. En gros, il s’agit de groupes restreints de personnes qui se réunissent avec un animateur. Le but de la rencontre est de parler avec ses pairs des émotions suscitées par la prestation de soins aux patients et des difficultés éprouvées, dans un environnement rassurant et solidaire. Nous vivons tellement de stress et de difficultés au quotidien, mais nous n’avons pas toujours le temps d’en discuter. Les groupes Balint permettent de laisser paraître sa vulnérabilité et de créer un sentiment d’appartenance. Nous réservions une plage horaire et un espace pour ce faire durant la demi-journée de formation des résidents. Quelques groupes de six ou huit résidents se rencontraient plusieurs fois durant l’année. Les séances portaient sur des thèmes prédéterminés, comme la gestion des attentes du patient, l’incertitude en médecine familiale ou les répercussions d’une carrière en médecine sur la vie personnelle. Dans l’ensemble, le programme a été très bien reçu, et il existe toujours aujourd’hui, ce dont je suis très fière.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : J’aimerais savoir pourquoi il était important de faire de GRIT un élément obligatoire du programme d’études. Nous savons que les programmes sont très chargés et qu’il est difficile d’y faire des ajouts avec tout le matériel à voir. Pourquoi teniez-vous tant à ce que le programme de bien-être soit obligatoire durant la résidence?

D^re Stephanie Klein : Vous avez raison. Il y a toujours quelqu’un qui veut faire des ajouts au programme d’études et il y a toujours plus à apprendre en si peu de temps, surtout durant la résidence en médecine familiale. Il était essentiel de rendre les groupes Balint obligatoires pour assurer leur succès, avant tout parce que les médecins résidents n’auraient pas à sacrifier du temps alloué à leur vie personnelle pour profiter de l’initiative. Les rencontres avaient lieu durant la demi-journée de formation et non le soir ou la fin de semaine. On nous a accordé ce temps parce que nous avons montré qu’elles aidaient les médecins à développer d’autres compétences importantes, comme la communication, la conscience de soi et le professionnalisme. On nous l’a accordé sans problème. Par ailleurs, tous les résidents devaient participer; ça ne se limitait pas à un groupe de volontaires. Dans ce contexte, il est plus « acceptable » de révéler sa vulnérabilité, comme je le disais. Les médecins n’ont pas l’habitude d’être vulnérables ni de parler de leurs points faibles ou de leurs erreurs. Beaucoup de gens sont mal à l’aise au moment de le faire, mais le programme a été entièrement conçu pour favoriser les discussions franches et les échanges. Dans l’ensemble, je crois que les résidents se sont sentis très bien soutenus dans cet environnement. Ils pouvaient voir que leur programme se souciait d’eux et de leur bien-être puisqu’il accordait du temps pour en parler. Les résidents ont noué des liens solides avec leurs pairs. Je peux en témoigner… Quand j’ai créé le groupe Balint, j’en faisais partie moi aussi. Aujourd’hui encore, j’échange des messages dans notre groupe de discussion. D’autres programmes ont communiqué avec moi pour incorporer notre concept à leurs programmes de résidence; alors, on peut dire qu’il gagne en popularité.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur l’importance d’intégrer les groupes Balint à votre concept? Comme vous l’avez dit, ils créent un espace sûr où les gens peuvent s’exprimer sans gêne, être vulnérables, mais dans un contexte sécurisant. C’est un peu l’ingrédient secret ou le principe actif de votre programme. Pourquoi était-il si important de créer cet espace pour les médecins en formation?

D^re Stephanie Klein : C’était important parce que nous sommes vraiment habitués à toujours donner un haut niveau de rendement. Nous avons aussi l’habitude d’être évalués à tout moment, que ce soit dans le cadre des examens ou des fameux ITER [In-Training Evaluation Reports ou rapports d’évaluation en cours de formation] pour les médecins résidents. On a l’impression qu’on doit toujours briller. Le temps et l’espace réservés au groupe Balint étaient exempts d’évaluations. Il n’y avait pas d’aspect didactique. Il va sans dire qu’au départ, certaines personnes étaient mal à l’aise avec l’idée de se dévoiler. Certains résidents ne s’exprimaient pas, mais nous avons mené un projet de recherche là-dessus par la suite. Ces mêmes résidents nous ont confié que le simple fait d’écouter leurs pairs et de faire des liens avec leurs expériences personnelles avait été bénéfique. C’était thérapeutique de constater qu’ils n’étaient pas seuls à éprouver telle ou telle difficulté puisque leur collègue parlait d’une expérience qu’ils avaient eux-mêmes vécue. Ici aussi, la démarche aide à normaliser le fait de parler de ses difficultés. Et elle peut être spontanée. Ce que j’essaie de dire, en fait, c’est qu’il est difficile de prendre le téléphone pour parler à son médecin ou d’aller consulter en thérapie. Le groupe devient un moyen de se soutenir entre pairs, sans confrontation, tout en profitant de bienfaits thérapeutiques.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : J’étais curieuse de vous entendre parler de la santé mentale des médecins résidents durant leur formation. Vous avez mentionné à quel point la période de la résidence peut être éprouvante et constituer une étape difficile pour la plupart des résidents. Pouvez-vous m’en dire plus sur votre point de vue et l’état de la situation?

D^re Stephanie Klein : La recherche nous apprend qu’au départ, les apprenants en médecine ont des résultats de santé mentale similaires à ceux de leurs pairs du même âge. Puis, il s’opère un changement durant leur formation. La pression ressentie fait grimper en flèche les taux d’anxiété, de dépression et d’épuisement professionnel. Chez les médecins résidents, le taux de dépression est deux fois plus élevé que dans la population générale. La plupart des résidents vous diront avoir connu un collègue qui s’est suicidé. Le problème ne fait que s’aggraver avec la progression de la formation. Pour ce qui est des causes, je dirais que le principal facteur est la stigmatisation qui fait obstacle à la demande d’aide. Je crois que l’AMC a lancé un sondage il y a quelques années, selon lequel 15 % des répondants seulement demanderaient de l’aide pour un problème de santé mentale. Pour en revenir aux apprenants, ils ont très peu de contrôle sur leur horaire, et les attentes sont élevées du côté du programme, mais eux-mêmes s’imposent parfois des exigences irréalistes. Ça laisse bien peu de temps pour favoriser son bien-être ou aller en thérapie. Les médecins veulent toujours être présents malgré leur souffrance. La stigmatisation avive la crainte qu’une demande d’aide ou de congé s’accompagne d’une note à votre dossier ou se répercute sur votre réputation au sein du programme ou votre capacité à obtenir le poste convoité par de plus en plus de compétiteurs. Le problème est le suivant : dans un système qui considère comme anormale la demande d’aide durant la formation médicale, vous allez penser que si vous êtes aux prises avec un problème de santé mentale et avez besoin de cette aide, c’est que vous êtes faible. Il n’en faut pas plus pour accentuer le déni ou minimiser l’importance du problème. Les étudiants peuvent ressentir beaucoup de honte et se refermer sur eux-mêmes, mais en même temps, la charge de travail et la pression pour réussir et faire avancer sa carrière demeurent. Nous savons que les gardes de 24 h entraînent une grande fatigue et que le manque de sommeil mine la santé mentale. Donc vous jonglez déjà avec tout ça, puis un autre élément peut s’ajouter, comme une erreur, le décès d’un patient, les critiques d’un supérieur ou une source de stress dans votre vie personnelle. Vous êtes dans une cohorte de personnes habituées à être les meilleures dans tout. Puis, tout à coup, ces défis se présentent, votre mode de vie est insoutenable, et éventuellement, vous devez faire un choix. J’y vois une « pente glissante ». D’abord on se débrouille, puis vient un sentiment d’épuisement émotionnel et de surmenage, auquel s’ajoutent l’anxiété et la dépression, l’usage de substances psychoactives et les pensées suicidaires. C’est ce qu’on lit dans les rapports de recherche. Ces dernières années, nous avons accompli quelques progrès, mais une grande part de la souffrance vient de la persistance de la culture du silence. Je crois qu’en ayant des discussions comme celle d’aujourd’hui – et je sais que de nombreux médecins essaient de donner l’exemple et font la promotion du bien-être et de l’équilibre travail-vie personnelle –, nous arriverons à changer cette culture. Il faut se donner du temps.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Vous avez évoqué plusieurs facteurs qui peuvent avoir une énorme incidence sur la santé et le bien-être des médecins en formation – et je dirais aussi des médecins en exercice. Je me demandais : croyez-vous qu’il s’agisse davantage de facteurs individuels? Sont-ils le fruit de notre culture médicale ou de nos milieux de formation? Je dis cela parce que vous avez parlé du perfectionnisme, un de nos traits de caractère et une des raisons qui nous poussent parfois à choisir la médecine et à avoir de très hautes attentes envers nous-mêmes. D’un autre côté, notre milieu ultra-demandant et compétitif découle peut-être de facteurs environnementaux ou culturels. J’aimerais savoir quelles relations vous établissez entre ces facteurs et ces dimensions. Et au bout du compte, à qui revient-il de provoquer des changements pour réduire la stigmatisation?

D^re Stephanie Klein : Vous avez raison. Je crois qu’une multitude de facteurs sont en cause. Il y a ceux liés au milieu de travail. La médecine a profondément changé au cours des dernières décennies. Les cas se sont complexifiés. Les systèmes ne sont pas adaptés à cette complexité. Et on dirait qu’il faut toujours faire plus avec moins. Nous savons que pour chaque heure de soins aux patients, il y en a deux de tâches administratives. C’est un très grand facteur d’épuisement professionnel, puisque personne ne va à la faculté de médecine pour accomplir des tâches administratives. Nous voulons aussi être là pour nos patients. Certains verront des facteurs plus individuels dans le fait que nous avons tous choisi cette profession pour aider les gens et que nous fassions parfois – ou devrais-je dire toujours? – des sacrifices. Selon moi, la médecine glorifie le concept d’abnégation et même, dans certains cas, la négligence de soi, ce qui rend d’autant plus précaire l’équilibre travail-vie personnelle. Le système fait passer la productivité avant notre bien-être, et nos attentes personnelles et notre perfectionnisme en ajoutent une couche. Pour ce qui est des changements, il faudra du temps pour transformer le système. Je sais que de nombreux organes directeurs élaborent des stratégies pour y arriver. En attendant, il faut penser à petite échelle : joindre un groupe Balint, penser à son bien-être, parler de bien-être ou s’informer des ressources disponibles. Je sais que le Programme de santé des médecins a diffusé beaucoup de messages pour aider les médecins à au moins renforcer leur résilience personnelle en attendant la transformation du système. Mais attention : la responsabilité ne revient pas qu’aux médecins et, en nous blâmant, nous ne faisons que contribuer au problème. Cet enjeu dépasse largement le cadre individuel.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Merci pour ces réponses. Je crois que vous avez assez bien résumé la situation. Jusqu’à maintenant, les médecins ont été tenus responsables de leurs propres difficultés en matière de bien-être. Par contre, nous en sommes au point où il faut reconnaître qu’ils sont loin d’être les seuls responsables. Tout le monde est en cause : les médecins, le système, la culture médicale, les milieux de pratique ou d’apprentissage dans lesquels nous évoluons jour après jour. Alors, je partage votre avis. Comme on parle d’un enjeu multifactoriel, les solutions doivent aussi être multifactorielles. Stephanie, j’aimerais en savoir un peu plus sur le succès de votre programme, GRIT. Quelles ont été les réactions depuis le lancement du programme il y a quelques années?

D^re Stephanie Klein : Depuis que je l’ai mis sur pied, il s’ajoute chaque année de nouveaux médecins résidents qui deviennent responsables du bien-être et dirigent le programme de formation en bien-être. Je le répète : je suis très fière que le projet ait perduré aussi longtemps. Il en va de même pour les groupes Balint qui demeurent actifs. J’ai même eu la chance de présenter le projet en Écosse, et je croise les doigts pour qu’il fasse des petits là-bas. Les réactions positives m’ont ravie. Je pense que les gens veulent tout simplement avoir accès à cet espace sûr et à ce sentiment d’appartenance. Les liens sociaux réduisent l’épuisement professionnel et sont une source de réconfort, surtout en ce moment, avec la pandémie qui chamboule nos habitudes. Comme nous en avons parlé, notre travail vient avec son lot de difficultés. Le programme nous donne au moins la chance de sympathiser avec nos pairs et de nous sentir épaulés. Nous avons eu de très bons commentaires.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Durant notre discussion, Stephanie, vous avez rappelé à quel point la stigmatisation est un obstacle à la demande d’aide et à la gestion proactive de la santé et du bien-être. Pouvez-vous parler du poids de la stigmatisation et des moyens de l’alléger?

D^re Stephanie Klein : Je suis convaincue que la stigmatisation tue. Elle empêche les gens de demander de l’aide. Il n’y a pas de problème physique pour lequel on hésiterait à consulter. Si vous vous cassez le bras, on vient signer votre plâtre. Si vous recevez un diagnostic de cancer, on dit que vous combattez le cancer. Mais pour un problème de santé mentale, personne ne s’empresse d’annoncer à tous sa dépression. C’est un gros secret. Certains y voient même un manque de caractère, et c’est triste parce que ce n’est pas le cas. C’est un problème de santé au même titre que tous les autres. Dans notre profession, par exemple, les questions du formulaire d’un organisme de réglementation qui portent sur un diagnostic d’antécédents de problèmes de santé mentale ou de consommation et l’incidence potentielle de ces problèmes sur la compétence professionnelle peuvent accroître la stigmatisation. Nous avons un système qui, tel que je l’ai décrit, est conçu pour favoriser l’épuisement professionnel et contribuer au déclin de la santé mentale des médecins. Je sais que les dirigeants en sont conscients et qu’ils sont à la recherche de solutions pour lutter contre la stigmatisation dans nos organes directeurs. Beaucoup de travail est accompli par l’Association médicale canadienne et l’Association médicale de l’Ontario pour changer les messages et donner des ressources aux médecins. Le Carrefour AMC du bien-être des médecins est une mine d’or d’information. J’ose croire que nous verrons la stigmatisation s’amenuiser avec le temps.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : J’ajouterais que chaque témoignage d’une personne qui, comme vous, a le courage de parler de son vécu nous aidera à briser les tabous et à prévenir des problèmes de santé mentale. Tout le monde peut contribuer à réduire la stigmatisation. En y repensant, le succès de votre programme revêt-il plus d’importance pour vous à cause de l’élément déclencheur dans votre vie?

D^re Stephanie Klein : Absolument. Je suis de ces personnes qui ont besoin de s’occuper l’esprit et, en période de deuil, j’avais besoin de ramener un peu de joie dans ma vie, besoin de sentir que je pouvais changer les choses. Rien ne nous redonnera nos êtres chers, mais au moins, avec la création de ces programmes, j’ai vu un changement énorme. On me demande de me joindre à différents comités et de mettre sur pied d’autres programmes. Tout a commencé avec mon frère. Ce projet m’a aidée dans ma vie personnelle et dans ma vie professionnelle.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Votre contribution se poursuit d’autres façons. Récemment, vous êtes devenue membre d’un nouveau groupe de travail en prévention du suicide chez les médecins en Ontario. Voudriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

D^re Stephanie Klein : J’ai vraiment l’impression de boucler la boucle. Je ne savais pas grand-chose du suicide avant qu’il y en ait un dans notre famille, et la prévalence chez les médecins est disproportionnée. Je me souviens avoir lu dans un article à l’époque : « Le suicide est un risque professionnel chez les médecins. » Aujourd’hui, quand je tombe sur quelque chose du genre, je me demande pourquoi nous accepterions cela. Maintenant que nous avons formé ce groupe de travail en prévention du suicide, qui a le soutien de notre collège, pour sensibiliser les gens au problème et lutter contre les facteurs aggravants, ça montre que nous avons été entendus, moi, ma famille et, j’en suis sûre, bien d’autres proches et collègues affectés par le suicide d’un des leurs dans notre profession. Si nous commençons à faire un suivi, à diffuser nos histoires et à nous informer, je suis convaincue qu’un changement est possible.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Docteure Stephanie Klein, je vous remercie de nous avoir raconté votre histoire. Merci pour tout ce que vous avez fait pour les médecins en formation dans votre province et, comme nous l’avons compris, peut-être dans le monde entier, en créant ce programme novateur dans votre établissement. Vous êtes une véritable source d’inspiration et vous aidez certainement à former une nouvelle génération de leaders dans le domaine du bien-être des médecins. Merci d’avoir été des nôtres aujourd’hui pour ce balado sur le bien-être. Ce fut un plaisir de parler avec vous d’un sujet aussi important. Prenez bien soin de vous.

D^re Stephanie Klein : Merci de l’invitation.

D^re Caroline Gérin-Lajoie : Vous écoutiez Pensons santé, un balado sur le bien-être des médecins et la culture médicale, une production de l’Association médicale canadienne, en collaboration avec Podcraft Productions. Pour en savoir plus sur les ressources, les outils et la recherche mentionnés aujourd’hui, consultez le Carrefour AMC du bien-être des médecins à amc.ca. Ici la D^re Caroline Gérin-Lajoie, qui vous dit à la prochaine!

Transcription par CastingWords